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Un film où il n'y a bien que les champignons qui soient vénéneux

Comme la vie, le cinéma réserve parfois des mauvaises surprises et des occasions manquées.


Les Proies fait sans aucun doute partie de la seconde catégorie.


Car je suis le premier à dire qu'il faut faire abstraction, en matière de remake et de réinterprétation, des films et autres oeuvres originales.


Mais, pour ce film, je ne peux malheureusement pas.


Au point de crier : Déception ! Trahison !


Oui, j'y vais un peu fort. Certainement. Mais Sofia le mérite, après tout. Car en s'emparant de cette thématique, il y avait quelque chose à faire. Pour elle seule. Comme sonder la psyché des jeunes filles qu'elle fait évoluer en vase clos sous l'oeil de sa caméra. Comme dans Virgin Suicides, quoi.


Je pensais que c'était du cousu main. Pour Sofia. En plus, avec le prix de la mise en scène à Cannes, Les Proies ne pouvaient que s'imposer dans le genre remake classieux d'un classique. Et bien non. Même pas.


Car même sans avoir vu le film original de Don Siegel, chacun pourra deviner que quelque chose cloche, dans Les Proies cuvée 2017. Dans la dynamique installée entre les personnages. Dans un titre qui n'aura jamais sonné aussi faux. Dans une interprétation perfectible. Sofia, de manière inexplicable, passe presque totalement à côté de son sujet. Non. Plus précisément, elle fait ici l'impasse sur ce qui en faisait tout le sel. Au point de soumettre Les Proies au cahier des charges intégral du prude et du politiquement correct d'aujourd'hui. Rien de vénéneux, rien de dérangeant, rien qui ne soit transgressif ou choquant : sauf que les actrices les plus en vue, Kirsten Dunst et Elle Fanning, tirent constamment la gueule, sauf quand elles se font culbuter ou lancent une oeillade par trop appuyée.. Quant à Nicole Kidman, elle devient de plus en plus raide et son visage inexpressif, merci aux ravages de la chirurgie esthétique. Si cela convenait parfaitement à son interprétation dans Stoker, ici, il n'y aura plus que les yeux des fans de la jolie rousse pour pleurer.


Il ne restera donc dans Les Proies que ses images ultra léchées et bien composées, à la lumière magnifique, aux voiles parfois étranges. La présentation est superbe, au détriment du goût. Comme dans ses nouveaux restaurants qui sont aujourd'hui tenus par les papes de la cuisine moléculaire. Le regard est rempli, à défaut de l'estomac. Le goût devient rare, mais pourtant, il y a quelque chose au bout de la fourchette. Et le plat n'est composé, lui, chatoyant de couleurs et de formes géométriques, qu'en prévision des photos qui pourront en être postées sur les réseaux sociaux.


Don Siegel s'en retournera à coup sûr dans sa tombe. Sofia a en effet expurgé le trouble et le malaise, faisant tout simplement l'impasse sur certaines scènes. Le baiser initial du caporal sur les lèvres d'une très jeune fille n'y survivra pas. Comme la domestique noire. Comme la scène de l'amputation, qui ne nécessitera aucun livre d'anatomie pour le coup, car à peine esquissée et ne laissant absolument rien derrière elle. Si ce n'est cette impression tenace de gratuité.


Car Les Proies portait bien son nom, à l'époque. Clint y jouait de son charme, séduisant, manipulant, tirant partie de chaque pensionnaire et de leur directrice. Son enfermement était étouffant, comme en sorte de piège dont il était par la suite la victime. Les métaphores y étaient légion, comme cette chanson funèbre qui ouvrait le film, ce corbeau entravé, ou ce cocon final, comme si des araignées l'avait tissé.


En 2017, le personnage du caporal est obligé de faire plusieurs pas en arrière, sous prétexte de relecture par les yeux d'une femme. Certes. Mais Les Proies tombe de facto dans le piège d'une certaine naïveté, mais surtout d'une extrême simplification qui ampute le film de ce qui en faisait toute la chair, et l'intérêt. L'atmosphère vénéneuse et malsaine n'est plus là. Le plus choquant non plus. Laissant la place à des roucoulades, des jeux de séduction réduits à leur plus simple expression, une absence totale de suspense. Sofia cantonne Colin à un simple rôle de victime, plus amusé que véritable moteur de ses manipulations, qui papillonne à peine et séduit très peu, ou alors souvent à son corps défendant. Il gardera ce rôle jusqu'à la fin du film, paraissant presque sympathique compte tenu du sort qui lui sera réservé. Pas sûr que c'est ce que Sofia voulait quand elle s'est embarquée dans l'aventure...


Car sa vision féminine tant louée par certains relève d'une entreprise aujourd'hui dangereusement mainstream de ravalement d'une façade jugée unilatéralement ringarde, dégradante, voire machiste. Manque de bol, une telle posture simpliste traduit une incompréhension totale du matériau et conduit à minorer tout un pan du scénario, qui servait de ressort le plus solide à un acte final sans retour. Les Proies adaptation 2017 en dénature tellement l'esprit que la dernière ligne droite singée, alourdie et expédiée par Sofia apparaîtra presque dénuée de sens et réduisant ses pensionnaires à des dindes pour la plupart unidimensionnelles et creuses tout juste bonnes à pérorer et à glousser lors des différents dîners.


Tandis que Siegel, illustrait son propos en conservant un équilibre des focales et des rapports de force masculin / féminin, aussi moisi puisse-t-il être considéré aujourd'hui par un "progressisme" révisionniste et bien pensant , Sofia échoue totalement à rivaliser avec son illustre aîné. Elle ne fait naître en effet aucune tension sexuelle, aucune pulsion un tant soit peu réprimée, aucune convoitise autre que celle relevant du naïf le plus bébête et pudibond digne de la bibliothèque rose de notre enfance.


Si la relecture féminine prétend être là, n'est ce pas, pourtant, un prix trop lourd à payer pour une oeuvre qui, finalement, ne vit que parce qu'elle a été décrétée comme telle ?


Les images sont belles, à l'évidence. Les noms connus s'empilent. Youpi. Mais pour pas grand chose au final. Si ce n'est un film pas désagréable à suivre, loin de là, mais dangereusement désincarné, lascif, d'une sagesse de dame patronnesse et d'une volonté de ne pas choquer qui confine à la censure. Faisant que Les Proies n'aura jamais aussi mal porté son nom aujourd'hui, tant il aurait dû être envisagé au singulier...


Mais mon ressenti est certainement celui d'un vieux con. Car une belle jeune fille est ressortie de la salle le sourire aux lèvres alors que je lui ai demandé si elle avait apprécié le film. Elle m'avoue alors ne pas avoir vu l'oeuvre originale.


Elle était ravissante, cette jeune fille. Après avoir échangé, tout en marchant sur les pavés de la Grand'Place, je l'ai dépassée, en résistant à la tentation de me retourner, me fiant qu'au son de ses pas caractéristiques. Il a fallu que j'essaye de rassembler tout mon courage, alors qu'elle se trouvait quelques mètres derrière moi, pour lui proposer, en feignant la surprise, que, comme nous empruntions le même chemin, de prendre un verre dans un bar de sa connaissance.


Mais le temps que je me décide, elle était au cou, vraisemblablement, d'un ami qui l'attendait sur une terrasse. Behind a alors éprouvé un pincement au coeur. Sa vie aurait pu peut être changer s'il avait eu le courage de saisir sa chance.


Elle ne lira sans doute jamais ces quelques lignes. Tant pis. Mais elle aura quand même illuminé, pour quelques secondes, l'existence du masqué.


Au contraire des pensionnaires du film...


Behind_the_Mask, qui, comme Colin, a perdu une occasion de jouer de son (maigre) charme.

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le 23 août 2017

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