Dieu et nous
Quelqu'un se présente comme Dieu, LE Dieu. Il est évidemment pris pour un fou, avant de se rendre compte qu'il en sait des choses, ce bonhomme. Serait-il vraiment celui qu'il prétend être...
le 14 févr. 2011
9 j'aime
Etrange.
C'est le premier mot qui m'est venu à l'esprit en terminant cette bande dessinée. J'aurais pu dire, oh dieu, bien des choses en somme : Inhabituel, décalé, intelligent, recherché, lent, surprenant, casse-tête... Mais c'est bien le terme qui résume tout ça le mieux: étrange. Ça dit tout et ça ne dit rien. Comme Dieu, finalement: il est tout et il n'est rien. Enfin, ça, c'est ce qu'on pourrait tirer des longs débats auxquels Marc-Antoine Mathieu nous fait assister. Un être paradoxal qui prouve son existence tout en donnant des arguments pour prouver sa non-existence. Un peu court, tout de même...
Mais ce n'est pas une bande dessinée qui parle de Dieu comme on pourrait le penser qu'a écrit ici Marc-Antoine Mathieu, c'est bien une bande dessinée qui parle de l'homme. La question "Dieu existe-t-il ou non ?" n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est ce qu'en pense l'homme, c'est ce qu'en fait l'homme. Et là, le constat n'est pas vraiment reluisant...
Tout d'abord, l'homme réfléchit. Il cherche à comprendre. Instruments scientifiques à l'appel, il va essayer de prouver ou de réfuter l'existence de Dieu. Mais comment remettre son existence en cause lorsqu'il se présente en chair et en os devant vous ? Et qu'il accomplit un certain nombre de "prodiges" pour prouver qu'il est bien celui qu'il prétend être ?
Seulement voilà, l'homme n'est pas du genre à se laisser avoir comme un bleu. Si Dieu existe, alors il est coupable. Et s'il n'est pas coupable, il est au moins responsable. Responsable de quoi ? De tout, de rien, qu'est-ce qu'on en sait ? Est-ce que ça a une importance, d'abord ? Si Dieu existe, s'il est parfait, comment le monde qu'il a créé peut être aussi imparfait ? Et voilà comment se trouve organisé le plus grand procès de toute l'histoire de la justice. Le procès de Dieu... Il y a de quoi attirer les foules !
Et qui dit "foules" dit "succès", dit "produit dérivé", dit "commercialisation", dit "argent"... Et c'est là que se trouve le coeur de la bande dessinée, c'est ce que dénonce Marc-Antoine Mathieu, avec plus ou moins de pertinence : la frénésie de l'argent, de la commercialisation à outrance... Si la charge est parfois un peu pesante voire - plus rarement - naïve, elle illustre à merveille les dérives et le ridicule de nos sociétés contemporaines, dans son désir de désacraliser le sacré, de mettre à bas tout ce qui dépasse l'homme. Dérives de l'art contemporain, bavard, vain et dont la prétention est mise à jour lorsqu'il transforme Dieu en objet d'art; dérives de la publicité, qui ne voit en Dieu qu'un produit marketing; dérives de la pensée enfin, qui, partant d'une dialectique intéressante, finit par basculer dans la masturbation intellectuelle... Débats interminables qu'on suit pourtant avec intérêt, malgré leurs longueurs, pour peu qu'on s'intéresse aux conceptions philosophiques de Dieu, mais qui finissent par tourner en rond. Car ce que cherche l'homme d'aujourd'hui dans ces débats, ce n'est pas la vérité, non. Ce qu'il cherche, c'est à prouver qu'il a raison. Ce qui explique que Dieu finisse par dormir pendant son propre procès...
Ainsi, malgré son apparente aridité et ses quelques temps morts, la bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu se révèle souvent esthétiquement achevée, notamment par une maîtrise impressionnante du noir et blanc, mais aussi passionnante sur le fond, d'autant que l'auteur parvient à construire toute une bande dessinée autour de Dieu sans jamais aborder la religion. Tour de force qui permet de mieux faire ressortir l'absence de transcendance qui caractérise nos sociétés contemporaines, dans leur volonté de se débarrasser de tout ce qui touche de près ou de loin au divin. Car si Dieu n'existe plus, alors c'est l'homme qui peut devenir Dieu...
Si la fin permet à chacun de se retrouver dans ses convictions, et de renvoyer dos-à-dos athées et croyants, elle affirme au moins une chose avec force : que s'il y a une chose qui est infinie, c'est bien la bêtise humaine. Et le mot de la fin, ce sera Einstein, cité à de multiples reprises par l'auteur, qui l'aura : "Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue..."
*Saint Athanase
Créée
le 4 oct. 2016
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