S’il y a une chose que les bandes dessinées Walking Dead partagent avec la série télévisée, c’est bien l’art de faire durer. (Je me moque ici de savoir ce qu’il y a de commercial dans cette esthétique.) Ça saute aux yeux dans cet album dont l’essentiel tient en deux épisodes : le délicat premier contact d’Ézéchiel et Michonne, et le combat final – qui propose une variation sur le thème « à malin, malin et demi », qu’on pourrait compléter ici par « et à malin et demi, double malin ». Le reste du volume consiste en diverses phases préparatoires : x se rend d’un point a à un point b, y rallie c depuis d, tandis que z part de a pour aller à d en passant par e, où il intercepte x… (Il me semble que les deux albums suivants ne feront que développer ce thème.) L’amateur de manœuvres militaires y trouvera probablement son compte.
Quant à l’amateur de littérature classique, il aura remarqué que Walking Dead reste toujours aussi foncièrement épique. Ainsi les combats d’Ézéchiel ressemblent-ils à ceux de l’Iliade : tandis que la canaille formant le gros des troupes combat et éventuellement meurt de façon tout à fait anonyme, les héros ne guerroient qu’entre eux, prenant tout juste quelquefois le temps d’occire un fantassin, intouchables par le commun des mortels. (Les deux cas intéressants ici sont celui de Carl qui, encore à moitié héros, atteint à moitié Negan, et celui du Sauveur anonyme qui a l’outrecuidance de s’en prendre à l’héroïne Andrea.)
De temps à autre, les héros interrompent leurs duels pour se défier. Lorsqu’ils s’adressent à un non-héros, c’est pour le motiver et / ou le rabrouer (1). Certes, on voit mal Agamemnon s’adresser aux Achéens ou Hector aux Troyens en disant « De ce monde, nous sommes la grosse bite qui se balance… Ça fait un bout de temps que ça dure… […] / Alors maintenant, notre grosse bite va se balancer plus fort… et plus vite… jusqu’à ce qu’on décolle comme un putain d’hélicoptère et qu’on défonce le cul de ses bâtards » (p. 138) : on aura reconnu Negan… Mais l’idée reste la même.
Et comme l’Iliade a son Thersite, Walking Dead a son Spencer – qui meurt à la fois lâchement, cruellement et stupidement, comme si l’album finissait de déblayer le terrain pour l’affrontement à venir – et son Gregory dont on imagine qu’il ne va pas tarder à suivre le même chemin.
Critique du tome 18 ici, du 20 là.