La campagne revêt un manteau pourpre

Ferme 54 est une fresque en trois parties qui nous promène le long du chemin emprunté par Nora vers l'âge adulte, dans l'Israel des années quatre vingt. Ce chemin, c'est aussi celui que dessine Gilad Sektar et qui mène vers un petit village de campagne, non loin de Jérusalem. Ici, c'est l'aquarelle couleur pourpre qui jonche les traits fins à l'encre noire de Gilad. Cette couleur si singulière qui tente d'échapper à la classification symbolique, moins manichéenne et plus nuancée que le rouge de l'amour et du sang.


1981, voici venu le temps des premiers émois pour Nora, jeune fille bien décidée à empoigner sa destinée. Seulement, la quiétude des jours paisibles au bord de la piscine délaisse l'adolescente en se heurtant brutalement aux tragédies de la vie lorsque Ammon, petit frère de Nora, se noie pendant qu'elle fricote avec Drior dans l'eau.


La collision des événements illustre avec justesse l'absurdité de la vie et nous renvoie à la fragilité de notre condition humaine. Pourtant, cette fragilité ne semble pas atteindre Nora. La force du récit tient en cela qu'il va plus loin que de nous conter de simples amours de jeunesse. L'histoire dévoile des sentiments plus obscurs et peut-être moins dicibles. Face à la tragédie qui accable ses parents, Nora fait preuve d'un cynisme dérangeant. D'ailleurs, le titre du chapitre fait référence au flirt de l'adolescente, et non à la mort de son frère. Troublant.


L'adolescence revendique son territoire autonome en résistant à l'intrusion des adultes. C'est le temps de l'insouciance et de la transgression : s'opposer aux règles des adultes et braver l'interdit ; ce que Nora, Drior et Omri entreprennent en s'aventurant dans la cave à l'accès proscrit.


Enfin, les choix de cadrage et le couple pourpre - encre noire pare l'oeuvre d'un voile poétique d'une grande intensité. Beaucoup de pudeur dans les dessins : des corps qui se chassent dans une piscine, une main qui en effleure une autre, un chuchotement qui parvient au creux d'une oreille, un chien meurtrit qui traine la patte. Ferme 54 est une œuvre à l'image du sang qui s'écoule des lèvres de Nora et se dissipe dans l'eau, insaisissable voire invisible, mais qui parvient à toucher grâce à sa force d'évocation.

Kapower
7
Écrit par

Créée

le 22 déc. 2014

Critique lue 303 fois

4 j'aime

2 commentaires

Kapower

Écrit par

Critique lue 303 fois

4
2

D'autres avis sur Ferme 54

Ferme 54
c72
6

Critique de Ferme 54 par c72

Les dessins sont intéressants car ils suggèrent autant qu'ils montrent. Il y a un coté abstrait parfois. Il s'agit de 3 nouvelles traitant du passage à l'age adulte d'une ado en Israël. La sexualité...

Par

le 18 déc. 2011

1

Du même critique

Slow West
Kapower
7

Passion stellaire dans l’Ouest américain

"A thousand ways to die, choose one" - (Rose Ross) Le prologue de Slow West se déploie comme le début d'un conte. Âgé de 16 ans, Jay Cavendish (Kodi Smith-McPhee, déjà remarquable dans La Route et Le...

le 4 juil. 2015

8 j'aime

5

Ferme 54
Kapower
7

La campagne revêt un manteau pourpre

Ferme 54 est une fresque en trois parties qui nous promène le long du chemin emprunté par Nora vers l'âge adulte, dans l'Israel des années quatre vingt. Ce chemin, c'est aussi celui que dessine Gilad...

le 22 déc. 2014

4 j'aime

2