Pour un commentaire plus abouti de l'œuvre : la critique de
l'adaptation animée de GTO.
Quand les professeurs d'Onizuka prétendirent au cours de la période Shonan Junaï Gumi que ce dernier finirait très mal, l'avenir ne manqua pas de leur donner raison. Pire que la prison, plus profondément encore que dans sa tombe, Onizuka atterrit dans l'éducation nationale.
Rien ne l'y prédestinait. Aucun professeur marquant du temps où il avait été étudiant à Shonan n'avait suscité chez lui cette vocation. On lui trouvera toutefois quelques similitudes avec son ancien professeur «Nano», karatéka redoutable et appréciant lui aussi un peu trop les jeunes filles (les très jeunes filles en l'occurrence) ; cependant, la comparaison s'arrête ici.
Connaissant le palmarès d'Eikichi Onizuka, notamment sa capacité rudimentaire - néanmoins efficace - à régler tous ses problèmes à coups de poing dans la gueule, tout portait à croire qu'il ne tarderait pas à revêtir les oripeaux du Dirty Harry des salles des profs. L'introduction du manga ne laissa pas de place au doute bien longtemps et les têtes dures du fond de la classe furent remodelées à grand renfort de tatanes, jusqu'à ce que le sens de la discipline leur soit correctement inculqué. Ça fait toujours plaisir à lire, mais qu'attendre au juste d'un manga où un professeur immensément plus puissant que ses élèves leur apprenne les bonnes manières en les fracassants ? L'idée est séduisante sur le court terme seulement, la redondance guettant bien vite.
Et c'est là que Fujisawa surprend. En dépit de l'humour graveleux - toutefois amusant - et de la débilité significative d'Onizuka, le manga gagne en maturité par rapport à la série l'ayant précédé. Sans changer sa nature, le personnage principal a fait peau-neuve.
Confronté à la redoutable classe de troisième quatre, aucun coup ne saurait le sortir d'affaire. Des délinquants en col blanc comme adversaires à combattre mais aussi à ramener dans le droit chemin, voilà de quoi il sera question. Les batailles ne se font plus en moto et à coups de bokken mais par des procédés insidieux contre lesquels Eikichi n'a jamais eu l'habitude de lutter. Photo-montages, harcèlements, association parents-professeurs, collègues jaloux, administration vicieuse, élève surdouée protégée par le ministère de l'intérieur, tous les moyens sont bons pour descendre le soldat Onizuka. La jeunesse de la décennie quatre-vingts-dix étant différente de celle de la décennie précédente qu'avait dépeinte Fujisawa, ce dernier aura su s'adapter en conséquence, offrant des profils tout-à-fait différents et remarquablement précis.
Fini la castagne entre prolétaires du lycée public, ce sont les coups bas et les sournoiseries de la jeunesse dorée des établissements privés qui sont d'actualité. L'âge et le contexte sont sensiblement le même, mais la sociologie ambiante recouvre deux réalités foncièrement différentes. On passe véritablement du coq à l'âne de Shonan Junaï Gumi à GTO. En tout cas, jusqu'à ce que ce foutu naturel revienne au galop.
Agrégeant patiemment autour de lui un noyau dur d'étudiants de sa classe ralliés à sa cause, Onizuka et ses acolytes viendront en aide à chaque élève en détresse, le tout aboutissant généralement à des situations dégénérant à l'extrême s'avérant répétitives à terme dans leur déroulé ainsi que leur résolution. Malheureusement, ayant ramené à lui chaque élève de sa classe, Onizuka est à cours d'utilité. C'est à cet effet que Fujisawa en revient à ses travers originels. On relance le drame en introduisant artificiellement de nouveaux protagonistes venus semer le chaos pour des raisons vaseuses, le tout se concrétisant... par de la baston.
La subtilité des procédés d'attaque contre Onizuka s'amenuisera les volumes passant jusqu'à se limiter aux agressions physiques caractérisées contre lui. On ne lit certainement pas GTO pour la baston mais pour le zèle avec lequel il persuade ses élèves de ne plus haïr les profs et les aventures affiliées.
Le souci étant de taille lorsque l'on sait que ces égarements concernent une bonne moitié du manga. L'adaptation animée ayant au final eu le nez assez creux pour se stopper après l'arc Okinawa. Plus de pédagogie qui tienne, c'est Shonan Junaï Gumi qui recommence... avec des personnages inintéressants et même inadaptés au registre.
Je pourrais revenir sur le fond des enseignements douteux dispensés aux élèves - et par voie de conséquence, aux lecteurs - mais j'enjoins plutôt les intéressés à lire ma critique de la version animée présentée en entête, où je m'étends plus longuement sur ce point. Il n'y a pas lieu ici de revenir dessus.
Malgré cette piteuse seconde moitié de manga, la fin trouve le moyen d'être exquise. La gravité de l'enjeu alors que l'on croyait Onizuka invincible, le procédé de narration du tout dernier chapitre qui ne nous dévoile pas la conclusion toute-cuite en bouche... je ne saurais mettre plus exactement le doigt dessus, mais cela s'avère à la fois réjouissant et satisfaisant. Dieu sait qu'il est sensible de réussir sa fin à l'issue d'une longue série ; Fujisawa y est parvenu.
Enfin, même si la légende GTO tient plus à sa version animée ayant su synthétiser le meilleur de la source, ceux s'étant contentés des quarante-deux épisodes sans ouvrir un volume ne connaîtront jamais la joie illustre de la lecture des trois chapitres de Saejima, «ami» véreux et même vénéneux qu'Onizuka aura retrouvé de sa période lycéenne. Des chapitres qui valent le détour et canalisent à eux seuls la quintessence de l'humour noir dont nous gratifiera l'auteur.
Ça part d'un bon propos, ça dévie vers un sens de la pédagogie douteux (car dépourvu du volet instructif de l'éducation pour s'en tenir au social), ça trébuche dans la débauche de baston mais ça se relève avec grâce juste devant la ligne d'arrivée. À lire en complément de l'anime plus qu'à part entière cela dit.