Héroïque fantaisie
7.7
Héroïque fantaisie

BD (divers) de Olivier Texier (2018)

À des années-lumière des paillettes de feu Michou, Olivier Texier a inventé le punk-barbare homo-érotique. Attention, ça tranche dans le lard sévère, ça gicle beaucoup et pas que du sang ! Âmes sensibles, aux abris !


Voilà bien un objet des plus inattendus et des plus audacieux qu’il m’ait été donné de lire depuis longtemps, échappant à toute tentative de catégorisation… Un objet hors-normes, extrêmement libre, qui ne gagnera certainement pas ses galons dans une actu BD souvent dominée par une forme de politiquement correct, même parmi la production LGBT qui cherche le plus souvent à se faire accepter par les tenants d’une optique « inclusive », le nouveau terme à la mode dans un monde de marketing lisse jusqu’à l’insipide. Dans des termes moins consensuels, cette nouvelle doxa pourrait se refléter dans le conseil suivant : vous avez toute notre bienveillance, mais jouez le jeu en rentrant dans le rang avec des choses « présentables », afin de ne pas choquer le « bourgeois ».


Si l’histoire donne l’impression de n’être qu’un prétexte aux délires sexuels de l’auteur, ce dernier fait pourtant preuve d’une imagination débridée, même si cela tend à partir en peu dans tous les sens… De fait, l’existence d’un fil narratif ne permet pas vraiment de classer « Héroïque Fantaisie » comme du porno de base, dont la seule fonction est de vendre des contenus à fantasme, le dessin étant de toute façon bien trop crasseux pour attirer le business du sexe.


Du reste, Olivier Texier ne revendique rien (d’ailleurs on ne sait même pas s’il est vraiment gay), se fiche d’être présentable autant que classé X, se plaît à représenter la baise homo crade, et là on est plus proche de l’érotisme trash d’un The Hun que de celui à tendance cuir clean d’un Tom of Finland. Dans une Vendée post-apocalyptique où la barbarie règne en maître, les héros suivent leur quête et n’échappent pas aux mauvaises rencontres qui leur font perdre à chaque fois, qui un bras, qui une main, qui un œil… Cela n’amoindrit en rien leur désir sexuel, qui bien au contraire semble décuplé dans ce contexte menaçant et mortifère. De plus, les passions amoureuses entre nos mâles ne sont pas absentes, comme un clin d’œil ironique aux navets « porno chic » à l’eau de rose. Sujet incontournable en Vendée (l’auteur est nantais et donc voisin de cette région très imprégnée de catholicisme), la religion est également évoquée, avec la vision récurrente de la Vierge dont les statues sont régulièrement défigurées par l’ennemi et ses armées de démons. Telle une provocation ultime de Texier, ces héros amoraux, grands « pécheurs » devant l’éternel, la vénèrent et déplorent évidemment la mutilation de leurs icônes, ne faisant que motiver leur détermination à combattre leurs ennemis.


Le dessin, typiquement underground, est paradoxalement pas très sexy et mal fichu au premier abord, dans une présentation basique en gaufrier à huit cases, avec quelques incohérences (pourquoi d’une case à l’autre, un des personnages apparaît nu puis habillé ?) mais qui révèle néanmoins un style, dont le pouvoir de séduction tient beaucoup par son urgence et sa liberté absolue. Un dessin punk à chien qui pue la sueur, le sang et le sperme, un dessin à la machette qui taille dans le vif et qui défriche.


« Héroïque Fantaisie » déroute car il échappe à toute classification, et c’est bien ce que semble avoir recherché ici Olivier Texier, un sale gosse qui revendique l’auto-édition comme le seul antidote à l’auto-censure et à l’étiquetage, se moquant bien d’être qualifié de pervers dégénéré. Imaginer qu’une telle BD puisse passer sous les fourches caudines de la bien-pensance ne pourra que réjouir les esprits libres. D’ailleurs, qui d’autre que les Requins Marteaux, pouponnière la plus notoire de la BD dissidente dans l’Hexagone, aurait accepté de publier un tel ouvrage ? Comme le Marquis de Sade en son temps, Olivier Texier fait ce qu’il veut, envers et contre tout, prônant par son seul dessin la liberté sexuelle comme moyen d’émancipation.

LaurentProudhon
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le 26 févr. 2020

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