La bande dessinée de Javi Rey est tout aussi aride et décharnée que l’intrigue, c’est-à-dire squelettique, comme la plupart des visages qu’on y voit.
On y trouve le même non-dit qui ne débouche pourtant sur aucune ambiguïté, et il me semble que si l’album parvient à ce même résultat que le roman, c’est que Javi Rey manifeste un véritable art du cadrage, notamment par des gros plans qui n’attirent pas toujours l’attention du lecteur sur le hors-champ, les rendant d’autant plus efficaces en les distinguant de l’utilisation quasi systématique que certains auteurs font du procédé. (Un exemple de gros plan qui montre tout : la dernière case de la page 74. D’autres qui qui suggèrent tout : le début de la page 122.)
L’autre point marquant de l’album (1), ce sont les couleurs, et notamment cette alternance de chaud et de froid, parfois dans les mêmes cases, qui lorsqu’elle n’a rien de réaliste fait sens, qui donne même son sens au récit. C’est ainsi de l’emploi des couleurs que naît la notion de point de vue, centrale dans ce récit.
Je comparais le récit de Jesús Carrasco à un conte, et l’album de Javi Rey illustre une autre caractéristique des contes (2) : si on veut résumer un conte en conservant les détails importants, le résumé finit par être le conte lui-même. Or, dans les quelque cent quarante planches d’Intempérie, il n’y a pas une case de trop.
D’une façon générale, il me semble qu’Intempérie pourrait servir de réservoir d’exemples à ce qu’est une traduction – plutôt qu’adaptation, mais on peut s’amuser à discuter – d’un bon roman en une bonne bande dessinée.
(1) En-dehors de l’intrigue osseuse comme un crâne de chèvre, je n’y reviens pas. J’en parle aussi dans ma critique du roman.
(2) Je ne parle pas de l’invraisemblance inhérente au conte, par exemple quand un cul-de-jatte sur roulettes tient une auberge où les victuailles sont pendues au plafond… Mais il me semble que le fait qu’elles soient pendues est là pour une autre raison.