Jyu-Oh-Sei par Ninesisters
Pour ceux qui croiraient encore que les shôjo sont des manga réservés au public féminin, ou encore des manga se cantonnant à de la romance, Natsumi Itsuki prouve le contraire avec son exceptionnel Jyu-Oh-Sei, qu'elle aura mis près de 10 ans à écrire.
L'histoire commence par de la SF. Nous découvrons qu'une partie de l'humanité a quitté la Terre pour coloniser le système planétaire de Vulcain. Mais nous nous rendons vite compte que tout ne fonctionne pas au mieux : une caste d'élites jouit du meilleur environnement du système, et l'espérance de vie a beaucoup diminué, faisant qu'il est désormais la norme de se marier avant 15 ans, et qu'une chirurgie est obligatoire pour prolonger son existence au-delà de 20 ans. Dans ce contexte qui n'est pas sans rappeler le mythique Terra e... de Keiko Takemiya, nous rencontrons deux jumeaux : Rai, garçon craintif qui rêve de devenir un scientifique comme leurs parents, et Thor, plus fort et courageux, qui lui souhaite rompre avec la tradition familiale et suivre une formation de pilote. Outre leur physique, ils n'ont qu'un seul point commun : leur envie profonde d'aller sur Terre.
Puis le drame : assassinat, complot, avant même qu'ils comprennent ce qui leur arrive, les voilà envoyer sur Kimaera, planète de Vulcain dont ils ignoraient l'existence, mais qui selon ce qu'ils en apprennent est réservée aux criminels ayant commis les fautes les plus graves (la peine de mort n'existant pas). Kimaera est un endroit extrêmement hostile, où les plantes se trouvent au sommet de la chaine alimentaire ; sa rotation particulière fait que le jour y dure 181 jours terrestres, et la nuit elle-aussi 181 jours. Les habitants sont répartis en 4 communautés, selon leur couleur de peau, et les prisonniers envoyés là ont intérêt à prier pour tomber pas trop loin de leur propre communauté. Les habitants y suivent un code strict, où les femmes sont séparées des hommes, et où chaque groupe possède un chef ; celui qui arrive à gouverner les 4 communautés devient alors le Roi des Bêtes, le chef de la planète, et lui-seul peut faire les aller-retours entre la planète et l'extérieur.
Pour Thor et Rai, il faudra d'abord survivre, puis devenir Roi des Bêtes pour se confronter à Odin. Mais jusqu'où peuvent-ils aller pour survivre ?
Après des débuts SF, Jyu-Oh-Sei plonge vite vers le survival horror, marqué par un ton sombre, pessimiste, et même cruel. Il est assez fascinant de suivre en parallèle le développement des personnages et les nombreuses révélations qui vont ponctuer sa trame, en particulier sur sa fin. C'est prenant, et cela change énormément des manga d'aventure classiques, essentiellement des shônen devant sacrifier à des codes dont Jyu-Oh-Sei peut se passer ; avec les mêmes bases, un shônen aurait donné un titre beaucoup plus axé sur les affrontements et le parcours du héros jusqu'à devenir le Roi des Bêtes, alors que là, c'est beaucoup plus équilibré entre action, progression du scénario, mais aussi réflexions du personnage central et liens avec ses camarades. Pour un shôjo, le côté romance est très peu marqué, mais ses influences se ressentent tout de même dans l'esthétique très androgyne de certains protagonistes ; ça et le fait qu'il y ait peu de femmes sur Kimaera, nous avons parfois l'impression que nous allons plonger dans le yaoi, ce qui n'arrive strictement jamais.
Jyu-Oh-Sei est un manga assez marquant, notamment par la nature de ses révélations mais aussi car l'auteur n'hésite pas à effectuer des coupes dans son casting, comme pour nous montrer la dureté de la vie sur Kimaera. La fin est riche en rebondissements, comme autant de bonnes idées, mais rajoute un nouvel enjeu moins agréable à suivre que le reste de la série.
Dans l'ensemble, il s'agit d'un titre mémorable, sombre, violent, et très joliment dessiné. S'il vous intéresse, je vous conseille de vite regarder du côté de la publication US, dans la mesure où il ne sortira jamais en France – trop vieux, ne rentrant dans aucune case, il représente un trop gros risque pour un éditeur français malgré sa courte durée – et où sa publication américaine est le fait du défunt Tokyopop, donc que les 3 volumes seront bientôt difficile à trouver. C'est vraiment un manga qui vaut le coup.