Le village de pêcheurs se meurt. Les naufrages se multiplient, les enfants sont retrouvés noyés, le poisson a disparu, la conserverie tourne au ralenti. Pour les habitants, le Kraken est la source de tous les maux. Une créature fantastique, tapie dans l’ombre de l’océan, prête à frapper. Damien est le simplet du village. Enfant étrange, insaisissable, il est persuadé de pouvoir tuer le Kraken. Il débarque chez un présentateur télé célèbre pour son émission consacrée aux créatures des abysses afin de lui demander son aide. Ce dernier, une fois arrivé sur place, découvre des marins prisonniers de leurs peurs et de leurs coutumes. Il découvre aussi que les morts attribuées au Kraken cachent une vérité encore plus monstrueuse…
Un album poisseux, sombre, glauque, qui n’est pas sans rappeler le dernier roman de Philippe Claudel. Même enfermement d’une communauté sur ses certitudes obscurantistes, même cruauté, même esprit éclairé stigmatisé parce qu’il est « l’étranger », celui qui ne peut pas comprendre. Le message est clair : chez des populations repliées sur elles-mêmes les traditions ne font souvent que cultiver l’ignorance, les racines auxquelles ils s’attachent tiennent les gens cloués à leur terre. A travers la figure mythique du Kraken les auteurs dénoncent à la fois la bêtise des superstitions ancestrales et la destruction des ressources naturelles par l’exploitation de l’homme. Surtout, leur récit repose sur une question centrale : jusqu’où peut-on aller pour conjurer le mauvais sort ?
Niveau dessin, le trait de l’italien Bruno Cannucciari est hyper expressif, proche du comics, porté par des couleurs vert de gris aussi tristes que les âmes des autochtones.
Clairement pas un album qui redonnera le moral à celles et ceux qui l’ont dans les chaussettes mais l'histoire est prenante, nerveuse et tendue à souhait.