La bande-dessinée documentaire semble partout, des étals des librairies aux rayonnages des bibliothèques publiques, et peut-être même chez vous.
Utiliser ce support pour informer ne date pas d’hier. Certains se souviennent peut-être de l'Histoire de France en bande dessinée des éditions Larousse parue dans les années 1970, ou d’encarts dans des publications telles que celles de Lug. Mais ces œuvres visaient avant tout un jeune public, elles étaient avant tout pédagogiques.
Depuis une dizaine d’années, ce genre est considéré comme tel car il a su renouveler ses approches, élargir ses publics. La bande-dessinée documentaire peut s’adresser aux enfants ou aux adultes, raconter la biographie de personnalités, relater des faits historiques, culturelsousociologiques, ou se diluer dans des oeuvres fictionnelles mais documentées : sa richesse est impressionnante.
Marion Montaigne est une tête de proue avec son blog BD Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même), qui vulgarise la science avec son humour fédérateur, adapté en série animée. Une autre figure importante est La Revue dessinée, qui met à l’honneur le reportage BD en lui offrant la reconnaissance attendue. La vitalité de l’offre est telle en France qu’elle s’exporte : Culottées de Pénélope Bagieu a reçu en 2019 un des prestigieux prix Eisner, celui de la meilleure édition américaine d'une œuvre internationale .
Des collections se créent, et parmi celles-ci La Petite Bédéthèque des savoirs a probablement été l’une des premières et l’une des plus importantes. Lancée en 2016 chez Le Lombard, chacun de ses tomes est consacré à un sujet. Son écriture est confiée à un essayiste reconnu dans ce domaine et l’illustration à un auteur talentueux. Le petit format caractéristique le distingue des autres grands formats de la bande-dessinée, pour mieux se glisser dans les rayonnages documentaires. La composition de chaque ouvrage est généralement la même, un avant-propos par Didier Vandermeulen, directeur de la collection, la bande-dessinée en question, des suggestions de documents par le scénariste et l’illustrateur ainsi qu’une bibliographie sélective des auteurs invités. Son petit prix, à 10€, est suffisamment doux pour se laisser convaincre.
Active de 2016 à 2019, la collection est riche d’une trentaine d’ouvrages, crées par les plus estimés spécialistes et illustrateurs. Mais pour commencer la série, elle le fait avec la maman de l’engouement de la BD documentaire, Marion Montaigne, tandis que c’est Jean-Noël Lafargue à l’écriture, moins connu, mais qui a notamment étudié l’image publique de la bande dessinée et les avancées technologiques. Le sujet ? L’intelligence artificielle.
Pour cela, les auteurs utilisent un habile procédé, en créant une petite histoire avec un robot envoyé dans le passé pour découvrir ce qui a causé la dernière guerre, dont les robots seraient responsables. Cela permet ainsi de découvrir une rapide histoire de ce qui est considéré comme intelligence artificielle puis d’arriver à l’époque de 2016, et des implications de celle-ci dans notre vie de tous les jours. Il s’agit d’évoquer la technologie, mais aussi l’éthique derrière. Depuis 2016, d’autres événements liés à cette technologie ont émergé, mais les questions de fonds demeurent les mêmes.
Car l’intelligence artificielle intrigue autant qu’elle inquiète. Le point de vue de l’auteur serait plutôt de la considérer comme positive, à cause de certaines de ses limites, telles que l’absence de sens commun. Mais des contre-exemples sont cités, où cette technologie est devenue un outil de contrôle, tandis que les intérêts humains derrière peuvent mener à toutes sortes de dérives.
Avec ses 70 pages, on sent bien que le propos des auteurs peine à tout contenir, que des intentions apparaissent peu claires, que des idées ou des faits sont passés trop vite. On peine d’ailleurs à comprendre ce qui définit vraiment l’intelligence artificielle. Une deuxième lecture est nécessaire, mais des zones resteront mal définies, et on perçoit bien que Jean-Noël Lafargue semble se contraindre à exprimer des points de vue qui ne lui correspondent pas. De plus, le tout apparaît parfois comme confus, peinant à structurer son propos.
Le trait simple et brouillon ne semble pas étouffé par ce petit format, il aide à la digestion de ces nombreuses informations. On y retrouve avec grand plaisir l’humour de Marion Montaigne, au point même d’avoir l’impression de se retrouver dans un des épisodes de sa série, à cause de ce mélange entre fiction et documentaire.
Avec un sujet aussi d’actualité et aussi problématique que l’intelligence artificielle, La Petite Bédéthèque des savoirs entame sa série avec un thème fort, mais dont on pourra trouver à redire sur l’exécution. C’est un sujet dense, qui aurait pu gagner à être présenté avec un peu plus de clarté. Le style habituel de Marion Montaigne semble même trop naïf par rapport à la complexité des idées, mais son humour est une bouée bien appréciable. Le premier né de la collection est un bébé un peu difficile, qui s’appréciera difficilement en une seule lecture. Mais il en restera malgré tout de précieuses informations pour mieux comprendre ce qu’est l’intelligence artificielle.
Le restant de la collection comporte d’autres ouvrages intéressants, qui feront l’objet de petites critiques. A suivre donc.
La Petite Critiquothèque de La Petite Bédéthèque des savoirs :
- Volume 1 : L'Intelligence artificielle par Marion Montaigne et Jean-Noël Lafargue
- Volume 5 : Le Droit d'auteur par Fabrice Neaud et Emmanuel Pierrat
- Volume 9 : L'Artiste contemporain par Benoît Feroumont et Nathalie Heinich
- Volume 11 : Le Féminisme par Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu
- Volume 14 : Le Minimalisme par Christian Rosset et Jochen Gerner
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