Sujet grave. Sujet pénible que celui du rôle de la France dans le génocide rwandais. Patrick de Saint-Exupéry est un fouille-merde. Avouons que la justice française ne lui a pas facilité la tâche.
De 1995 à 1997, j’ai vécu deux ans aux côtés de coopérants belges. Professionnels du développement, ils avaient tous « servis » au Rwanda. Allongés dans des transats, nous eûmes de longues conversations, rythmées par les décapsulages de bières. Le Rwanda n’était jamais loin. Ce pays représentait leur plus belle réussite, un pays magnifique, dense, éduqué. Les menuisiers y travaillaient le bois aussi bien qu’en Flandres. Les agriculteurs y maîtrisaient la culture attelée. Les écoles et les églises y étaient pleines. Et, ils se sont entretués. Le génocide était, si j’ose dire, tout frais. Comment admettre un tel échec ! Comment recommencer… Ils buvaient secs.
Jadis, le pays comptait une vingtaine de clans dirigés par des rois (Mwami), hutus ou, plus fréquemment, tutsis. Le Mwami du Rwanda était tutsi. Les Tutsis étaient éleveurs et les Hutus agriculteurs. Ils partageaient la même histoire, la même langue, les mêmes coutumes. Les colonisateurs allemands s’appuyèrent sur ceux qui pouvaient constituer l’aristocratie locale. Les plus exaltés, nous sommes au XIXe, crurent percevoir une supériorité génétique des Tutsis sur des bases raciales et morphologiques : plus minces, plus grands et plus intelligents.
À partir des années 50, les missions catholiques ouvrirent leurs écoles à tous les enfants. Les séminaires formèrent des prêtres hutus et tutsis. Défendant une conception plus égalitariste l'Église remit en cause l'équilibre politique initial et se posa en défenseur des Hutus. L’indépendance approchait, l’heure était à la démocratie. Les premiers scrutins donnèrent le pouvoir aux Hutus… qui, élections après élections, ne le lâcheront plus. Les Tutsis regimbaient, les massacres se firent plus fréquents. Les Tutsis émigrèrent en masse et initièrent une rébellion armée, qui menaçait le pouvoir légal. Vous connaissez la suite. L’armée française défendit, efficacement, le gouvernement légitime contre la guérilla extérieure. Pourtant, la peur d’une victoire des rebelles grandissait. La supériorité numérique assure le gain des élections, mais pas la victoire militaire. D’avril à mai 1994, 800.000 rwandais, en majorité tutsis, furent tués, souvent à la machette.
Fin juin, François Mitterrand lança l’opération « Turquoise », une action humanitaire destinée à « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force. » La France estimait avoir affaire à de « simples » crimes de guerre, nos forces devaient rétablir l’ordre légal. Patrick de Saint-Exupéry accompagnait les commandos de pointe. Il découvrit l’impensable : nos soldats accueillis en alliés par les génocidaires. Les rescapés sortaient des bois, pour être occis dès le départ des éclaireurs. Les officiers n’étaient pas préparés à la tragédie. Les soldats piétinaient, l’arme au pied, attendant les ordres, alors que les massacres perduraient. Les rebelles tutsis prirent le pays. Jamais ils ne pardonneront notre inertie, une complicité involontaire, mais objective, de génocide.
Quand les mots manquent, quand les archives mentent, les dessins d’Hyppolite décrivent une horreur banale. Comment ne pas frémir face à la bonne foi de tueurs abrutis par leurs propres crime ? Un instituteur, des soldats, des paysans.... La sidération des officiers français culmine quand ils découvrent que les ordres de tuer émanaient du préfet, des consignes transmises par les gendarmes, leurs anciens élèves, leurs frères d’arme. Putain de pays...