J’avais sept ans. Mon père, ce géant au regard si doux, déposait une bande dessinée sur la table basse du salon. Il souriait. Papa parlait peu et riait moins encore. Or, dans la semaine qui suivit, à plusieurs reprises, il évoqua l’album en plaisantant. Une simple BD ! Combien grande devait être sa puissance, pour provoquer chez mon père de tels accès d’hilarité. Dans ma chambre, je possédais une poignée de Tintin et quelques Lucky Luke. Le premier était trop sage et les aspects comiques du second m’échappaient. Inquiet, je demandais à la lire. Papa accepta sans difficultés. J’ouvris, je lis, je ris. Je riais aux bagarres, aux baffes et torgnoles. Je riais aux gros nez et physiques grotesques. Je riais de les voir pouffer. Astérix, Obélix et Idéfix rigolaient fort, et moi avec. J’oubliais Tintin et dévorais la collection complète, que Papa conservait dans une armoire. Les années passèrent.


Goscinny, ce génie discret, ose en 1959 un héros différent. Alors que l’édition franco-belge propose, à destination d’un public juvénile, des jeunes hommes minces et athlétiques, intelligents et sages, loyaux camarades et gendres idéaux, tous clones de Tintin, il conçoit un vieux célibataire bougon, batailleur, rebelle et sans autres attaches qu’un vieux copain écervelé. Les savants y verront le prototype du héros gaullien, luttant pour une Gaule indépendante face à l’Empire. Admettons, De Gaulle, rugueux géant au verbe incandescent, percevait en la France éternelle la plus grande des petites nations. Il releva un peuple vaincu et, pour ce faire, enrôla le petit teigneux.


Vingtième album de la série, Astérix en Corse sort en 1973. Il reprend la trame qui nous a déjà valu des voyages chez les Bretons, en Hispanie et en Helvétie ! Une ballade en sept temps : un invité surprise (ici Ocatarinetabellatchitchix, chef corse exilé), un engagement à le ramener à domicile, un voyage, des conflits, des bagarres, une victoire et un banquet final. Le lecteur bénéficie en prime d’une visite commentée de l’ile de Beauté : son maquis, ses fromages, ses susceptibilités, ses haines ancestrales et ses quatre vieillards assis commentant l’actualité à l’aulne de l’histoire des clans. Obélix est aux anges, sa fierté ombrageuse, sa paresse assumée et son appétit vorace plaisent aux autochtones, qui se déclarent prêts à tolérer un empereur, à l’unique condition qu’il soit corse !


J’ai demandé à Papa les raisons de son affection pour Astérix. Trop tard, il n’est plus aussi présent. Alzheimer est une étrange affection. Le malade joue avec le temps et laisse, à celui qui sait tendre l’oreille, passer des bribes de vérité. Il m’a répondu en deux temps : d’abord par un lapidaire « C’est bête », dans un sourire. Puis, il compléta : « Les dix ou quinze premiers étaient drôles, après, ils tournaient en rond. Tous pareils. » Oui, Papa, c’est vrai. Cinq albums pour fixer le dessin et imposer au lectorat un univers (le village, ses rixes et ses codes), puis une dizaine supplémentaire pour en faire le tour (la Gaulle, les barbares goths, Rome et les provinces impériales). Astérix, c’est bête. Que voulait-il dire ? Pourquoi est-il si drôle ? Goscinny accumule les anachronismes, les jeux de mots, les parodies et stéréotypes, les running gags (les pirates, la potion d’Obélix, les conflits entre villageois), les digressions savantes, les citations latines plus ou moins exactes… Il joue sur plusieurs niveaux, chacun y trouve son compte, l’enfant comme le savant. Pas si bête !


Tintin est reporter, Spirou groom, Lucky Luke vacher. Astérix n’est pas grand-chose, si ce n’est quelque chose comme un guerrier intermittent malin et… tricheur. Ne doit-il pas ses trop faciles succès à une secrète potion magique ? Trop bête.

Créée

le 11 juin 2016

Critique lue 3K fois

123 j'aime

30 commentaires

Step de Boisse

Écrit par

Critique lue 3K fois

123
30

D'autres avis sur Astérix en Corse - Astérix, tome 20

Astérix en Corse - Astérix, tome 20
Hypérion
9

Tu es susceptible, toi... Tu me plais.

Ocatarinetabellatchitchix. Tout est dit. Mais développons un peu tout de même. Cet album d'Astérix est un petit bijou d'humour typique de Goscinny, allié au dessin toujours alerte et soigné d'Uderzo...

le 16 mai 2011

44 j'aime

2

Astérix en Corse - Astérix, tome 20
Ugly
10

Astérix chez Napoléon

Dans cet album, les 2 auteurs réussissent l'exploit de taquiner gentiment les Corses et leur susceptibilité ; cette aventure est pourtant l'une des préférées des habitants de l'île qui sont...

Par

le 5 déc. 2020

32 j'aime

16

Astérix en Corse - Astérix, tome 20
tibo2257
10

"Oui...Tu vois. Toujours belle,mais bavarde comme une pie" !!

Sans doute l'un des meilleurs Astérix! J'ai beau l'avoir lu vingt fois, je ne peux pas m'empêcher de rire sur les clichés corses, sur l'humour de Goscinny portant sur le peuple corse. Les jeux de...

le 6 oct. 2012

14 j'aime

4

Du même critique

Gran Torino
SBoisse
10

Ma vie avec Clint

Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...

le 14 oct. 2016

127 j'aime

31

Mon voisin Totoro
SBoisse
10

Ame d’enfant et gros câlins

Je dois à Hayao Miyazaki mon passage à l’âge adulte. Il était temps, j’avais 35 ans. Ne vous méprenez pas, j’étais marié, père de famille et autonome financièrement. Seulement, ma vision du monde...

le 20 nov. 2017

123 j'aime

12