Ça tourne, ça ne donne pas le tournis

Je n’avais jamais entendu parler des Éditions du Long Bec, qui publient la Vampire de Barcelone. Elles semblent être encore une petite structure : d’ordinaire, cela implique une forme d’artisanat, voire d’amateurisme – dans le sens mélioratif des deux mots. Or, l’album semble l’archétype du travail professionnel, voire industriel – dans le sens péjoratif du mot, je n’en utilise pas d’autre. Pas le moindre bricolage ici, tout est maîtrisé, il y a même pléthore de bonus – prologue, introduction, épilogue, conclusion, « carnet graphique » (1)… On en a pour son argent.
Je n’aurais pas évoqué cela si le récit de Parra, Ledesma et González n’était pas à l’image de l’objet : soigné, efficace, documenté, bref, maîtrisé de bout en bout. Ni trop léger, ni trop pensant – malgré le sujet. Je force à peine le trait en disant que ce n’est pas du travail d’artiste, ni même un travail d’artisan – un artisan aussi a une patte –, mais du boulot d’ingénieur.
Ça n’enlève rien au mérite des trois auteurs, mais ça limite la portée de l’ensemble. Avec cette façon de faire, il n’y a pas d’album raté, de la même façon qu’il n’y a pas sur le marché de feu tricolore ou de moteur d’avion ratés. Du coup, l’émotion esthétique n’est guère plus puissante à la lecture de la Vampire de Barcelone que devant un feu tricolore ou un moteur d’avion : on peut se dire que c’est bien foutu, je doute qu’on le prenne comme quelque chose d’artistique.
Couleurs, trait (sauf quelques visages), découpage des planches, cadrages, dialogues : tout est efficace, mais pas la moindre fantaisie nulle part – à la rigueur, la structure narrative, riche en ellipses, peut dérouter. C’est comme si l’on avait étendu à tout le récit cette façon de composer les dialogues dans une police de caractères qui imite l’écriture manuscrite. Le sujet – une histoire d’enlèvement d’enfants sur fond de complot de notables – aurait pu aboutir à un grand album, si les auteurs ne l’avaient pas ainsi désinfecté.


(1) Soit dit en passant, cela n’aurait pas dû exonérer l’éditeur d’indiquer le nom du traducteur, quelle que soit la place occupée par celui-ci dans la chaîne de production ; ça ne devrait pas être un bonus.

Alcofribas
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le 23 juil. 2019

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