Dans les pas de Jean-Jacques Rousseau, Jérôme Bouquet construit page à page une Préhistoire mythifiée. Le choix de l’anthropomorphisme est limpide : avec Mésange, Flamand ou bien Cacatoès, il s’agit de s’immerger au commencement d’un monde inconnu, dont les logiques tribales renvoient toutefois à notre propre passé. Après tout, l’auteur spécule sur une invention proprement humaine, celle de la musique. Comment l’Homme en est-il venu à fabriquer des instruments dont la seule utilité est de produire un son harmonieux ? La réponse apporte son lot de magie, et surtout d’expérimentations graphiques. Lors de stupéfiantes scènes de concerts primitifs, Bouquet s’essaye à l’art de l’onomatopée, laissant les sons envahir les cases en leur conférant chacun un rythme propre. Ce, jusqu’au moment paroxysmique où la musique s’accapare toute la page, laissant penser que l’auteur a basé tout le récit autour de cette acmé. Pour un premier album, une telle maturité esthétique se révèle d’autant plus déconcertante que l’épure du dessin est rebutante de prime abord. Le récit est un peu plus convenu lorsqu’il décrit les rapports de pouvoir entre les tribus et leurs différents protagonistes (le guide spirituel, le bouc émissaire, etc.). Reste que l’univers inventé au fil des planches en impose : on le voit facilement s’étendre durant d’autres albums. On se prendrait même à rêver d’une constellation mythologique dont chaque segment poserai les grandes questions de l’anthropologie : comment les croyances religieuses sont apparues ? Ou bien, une autre question que l’auteur élude : quelle est l’origine des langues ?
Cette critique a été écrite pour candidater au Jury 2020 du Prix BD des étudiants organisé par France Culture. La seule contrainte était de proposer un texte de 1500 caractères au maximum. Autant vous dire qu'il a fallu que je pèse chacun de mes mots...