Ça nous vient de Corée. De Coréens plutôt. Et, contrairement à ce que certains clament, ce n'est pas un manwha pour autant. En dernière instance, c'est la maison d'édition qui définit la catégorie à laquelle appartient l'œuvre, pas l'origine de son auteur. Pour le profane qui ne s'y serait jamais attardé, la différence entre manga et manwha tient à deux consonnes. De deux chinoiseries, on penserait ne pas pouvoir faire la distinction ; après tout... ne se ressemblent-ils pas tout ?
Pour qui n'a pas de la merde dans les yeux, la dissemblance ne tient à aucune argutie d'expert mais à la plus stricte évidence.
En bon béotien - limite barbare - je me contenterai de rapporter qu'un manwha, sur le plan artistique, c'est un calvaire vertical en couleur là où le manga serait davantage une variété ouverte aux styles pluriels. En écrivant cela, je n'ai absolument rien précisé et j'ai pourtant tout dit. J'inviterai alors cordialement tout néophyte à se faire sa propre idée en s'essayant à la bédé coréenne. La différence leur apparaîtra naturellement saillante si ce n'est aveuglante. Mangas et manwhas ne souffrant au final de presque aucune comparaison légitime en dépit de ce qui s'apparente à une proximité étymologique visant à les désigner chacun.


Toute tentative de diptérosodomie n'y changera rien, c'est bien ici un manga que l'on a entre les mains. Un Seinen joliment dessiné qui n'a certainement rien à envier aux contours lisses et pétris de mignardises habituellement produits en série par foultitude de manwhas.
Des tons sombres, du détail dans la caractérisation des visages et des décors fournis, ça aura su me plaire sans m'enthousiasmer. Peut-être trouvais-je justement le crayonné trop stylisé, à la limite du coquet malgré la dureté d'un trait pourtant prompt à débarder la violence grasse et crue délivrée par torrents.


Le Nouvel Angyo Onshi partait d'emblée comme une œuvre qui se cherchait. Mon premier grincement de dent résonna à la première divulgation des sous-vêtements de dame Sando. Je m'étais figuré que ça annonçait le ton mais on n'y reprit plus Yang Kyung-Il et Youn In-Wan alors que ces derniers en étaient encore à définir leur Seinen avant même de chercher à lui faire dire quoi que ce soit. Il créaient une marque, un brevet, une empreinte significative. Pêle-mêle apparaissaient alors une mascotte chauve-souris - qui n'était pas sans en rappeler une autre - un slogan «Voici venir l'Angyo Onshi» et un cadre fantastique qui ne s'imbriquera pas si bien que ça autour du corpus de l'univers dont on peine à délimiter les contours ayant trait au fabuleux. Ça ressemble d'abord à Mushishi alors qu'un vagabond - ou ce qui se présente comme tel - erre en résolvant quelques incongruités surnaturelles avant que la trajectoire ne bifurque. Les auteurs s'y étaient essayés, avaient trempé un bout d'orteildans le genre avant de faire finalement volte-face et de repartir vers un registre sensiblement différent.
Sans être nécessairement inconstant pour autant, Le Nouvel Angyo Onshi aura entamé une mue laborieuse alors que le stade larvaire se situait déjà dans le cocon au premier chapitre. Il faut le temps pour que ça prenne une forme spécifique et que ça ne s'engage dans un sentier à peu près sûr.


À ne pas trop savoir vers quoi on tend et, surtout, à se goupiller de sorte à plaire plus qu'à se présenter tel qu'il est, le Nouvel Angyo Onshi table sur les valeurs sûres ; celles qui capturent sans avoir à forcer un lectorat qui ne se contente que d'un rien pour tourner les pages à l'envie. La figure de l'antihéros, voilà qui a fait florès. Par le passé en tout cas et dans d'autres fictions qui plus est, car ici, de l'antihéros, Munsu en arbore la stature sans être foutu d'en incarner la substance. Sans même chercher à l'incarner d'ailleurs.
Démarche de poseur à la manœuvre ; il ne suffit pas d'être ténébreux et désagréable à l'endroit des braves gens pour être un antihéros. Cette figure de littérature n'est pas le propre de l'allure mais se rapporte aux valeurs. Et ses valeurs à Munsu, en quoi diffèrent-elles au juste de celles d'un héros lisse aux joues roses et aux idées propres ? Venir en aide aux faibles en faisant mine de pas y toucher, chercher la Justice au bout du glaive tout en pourfendant le mal, se montrer attentionné envers ses camarades... je regrette c'est du Naruto dans les termes.
Il n'est roublard qu'à ses heures perdues. Ses heures premières en réalité ; celles où il cherche à conquérir un lectorat. Il ne trahira jamais que pour tromper ses ennemis en réalité. Edward Alric , pourtant personnage de Shônen, n'hésitait pas à faire la nique aux prolétaires afin de se faire entretenir par un parvenu le temps d'un séjour, séjour à l'issue duquel il était en réalité venu pour bouter ledit parvenu. Les auteurs ne sont ni innovants ni même capables de rendre leur personnage principal crédible dans ses postures. Munsu n'est extrême qu'à moitié ; la semi-molle de l'héroïsme, à se contenter de jouer les durs en restant ce bons garçon au cœur d'or avec son air de pas y toucher mais un peu malgré tout. L'ambiguïté morale du personnage, il n'y en a pas même l'ombre. À la place, un maquillage abusif pour cacher un protagoniste de Nekketsu derrière un fond de teint dispensé abondamment sur sa gueule. Certains se laisseront prendre et céderont naïvement aux avances d'un travesti, les plus avertis ne lui tourneront pas le dos.


Qu'on ne s'y trompe pas, malgré les ténèbres opaques desquelles l'œuvre semble faite, ce sont toujours les bons sentiments qui sont de mise. Autant dire que le pilotage automatique de la trame est amorcé dès le départ et que la trajectoire sera des plus linéaire.


Munsu a bon dos en plus d'avoir bon cœur ; c'est sur lui que les auteurs ont porté toutes leurs vaines espérances. Mais le troupeau agglutiné dans les alentours n'est pas en reste. Du ténébreux en veux-tu en voilà. À foison, jusqu'à satiété et même au-delà. Le statut de personnage secondaire dans Le Nouvel Angyo Onshi est une position précaire. Tout ce qui entoure Munsu n'a guère vocation qu'à le mettre en scène d'une manière ou d'une autre ou à lui donner la réplique. Ce n'est plus un personnage principal mais un champ gravitationnel. L'honnêteté aurait au moins dû pousser les auteurs à nommer le manga après son nom. Ils se seront contentés de son titre à la place ; ils savent être suffisamment allusifs quand il s'agit de noyer le poisson.
De l'exposition personnelle, un personnage secondaire pourra y être sujet à condition seulement que Munsu soit de la partie. Tous roulent en conduite accompagnée tout du long, il n'est permis à personne de réellement sortir du lot. Il ne faudrait pas faire de l'ombre à un personnage principal pour qui ses créateurs ont tant fait sans rien inclure.


Tant les combats - esthétiques comme le reste - que les motivations résonnent au loin seulement. La pauvreté conceptuelle de ce qui met en branle les protagonistes de diverses faction à se mettre sur la gueule ne cessera de m'effarer. On ne sait pas trop pourquoi ils se battent. Il y a toujours cette histoire de vengeance en toile de fond, mais elle est si nébuleuse que le prétexte ne pèse pas bien lourd alors que le sang commence à être abondamment versé. Ce faux-fuyant de la vengeance s'imagine pouvoir étouffer toute revendication légitime que puisse avoir une intrigue désireuse d'être lue. De motivation, il n'y en a pas tellement ; on diabolise l'antagoniste ce qu'il faut pour justifier l'exorcisme et, l'alibi tout trouvé, on orchestre la baston en fanfare.
Se battre sans raison autre que celle pointée par la mise en scène, voilà qui n'est pas sans rappeler Sun-Ken Rock. Un savoir-faire typiquement coréen ; un art ancestral visant à aborder avec brio la débâcle éditoriale du bout de la plume.


Ça, c'est pour la scénographie. Pour ce qui est script, la référence toute trouvée, celle sur laquelle on ne saurait faire l'impasse, n'est nulle autre que la trame de Kenshin. Même en des contrées différentes - et pas tellement - les paysages me sont familiers. Qu'un ancien guerrier, dans une ère nouvelle ou les armes à feu s'introduisent au sein d'une société sortant tout juste du terreau médiéval, soit, au cours de l'intrigue emmerdé par son passé encombrant m'aura en tout cas mis la puce à l'oreille. Pas moins en tout cas que l'interminable Flash-Back tragico-amoureux en fin de partition dont on connait de toute manière l'issue et qui, le cas contraire, aura été si vu et revu dans ses aléas que l'on en devine sans peine l'aboutissement que l'on prophétiserait presque. Le Nouvel Angyo Onshi est un Kenshin plus mature et mieux dessiné ; une œuvre à la remorque d'un Shônen qui, en son temps, avait déjà dix ans de retard.


Avec peut-être une pointe de Berserk ; Le Nouvel Angyo Onshi étant à Berserk ce que la bière sans alcool est à la Kronembourg. Un antihéros mais pas trop, du sanguinolent mais pas tellement, du fantastique à coup de trique et des dessins bien léchés, y'en a une chiée. Bang Ja pareil à Puck pour le ressort comique et Aji Tae comme Griffith de carnaval. La ressemblance est parfois si frappante qu'elle occasionne un K.O technique chez qui n'y aura pas pris garde.
Mais c'est une œuvre à part. À part parce qu'inférieure. Comme Vinland saga, ça a son identité propre, mais, ses allures de rejeton bâtard empêchent de ne pas faire mention de la ressemblance. Avec tous les effets de mode délibérément voire outrageusement stylisés, Le Nouvel Angyo Onshi, c'est aussi un Berserk bling-bling. Il a pourtant tellement à puiser chez Miura, mais on ne se contente qu'à chaque fois de ce qu'il fait jaillir en surface. La lecture que dut en faire les auteurs était assurément aussi superficielle que le contenu de ce qu'ils avaient à délivrer.


C'est heureusement suffisamment court pour ne pas avoir à être plus redondant que ça ne l'était déjà au regard de la structure de ses arcs narratifs. Un Shônen bien écrit, c'est ce qu'on peut dire de ce Seinen mal rédigé. On peut de toute manière s'attendre à tout d'un manga qui fait revenir à la vie un protagoniste sans raison particulière. Won Sul était parfois si soigné par la mise en scène qu'on pouvait ressentir le besoin palpable des auteurs à le rendre classe, quitte à transcender et violer et limites du déraisonnable. Le mot «Sasuke» n'a pas été prononcé, il aura néanmoins été pensé.
Tous les effets de manche vétustes du Shônen auront été de la partie. Magnifiés certes, mais une esquisse à l'encre de Chine rajoutée par dessus un dessin au feutre ne peut que paraître grandiloquente en comparaison.


Tous les effets de manche. Tous. L'arc demoiselle en détresse, recours scénaristique incontournable parmi les poncifs les plus éculés, nous parviendra sur le tard afin de sauver madame Hwang. Tous les témoins du tableau de bord sont maintenant au rouge ; c'est détendu qu'on peut poursuivre sa lecture alors que l'on sait maintenant à quoi s'en tenir dans le détail.


L'arc final ne sera bien évidemment rien d'autre qu'une énième boursouflure shônenesque alors que tous les protagonistes convergeront vers le tourbillon coutumier des batailles finales démesurées qui ne mènent qu'à la dernière strate des abysses. Ça fait «POUM», ça fait «prSsssHhHh», ça fait «Ouin», ça fait «BAM», mais par-dessus tout, ça fait chier alors qu'on jurerait revivre le supplice d'Hellsing.


La farce ne fut au final que le prévisible périple d'un faux antihéros qui, parce qu'il faut bien se venger et sauver le monde, frayera jusqu'au décevant - mais tout aussi prévisible - combat final face au grand méchant de foire, littéralement démoniaque. Un esprit de synthèse suffisamment rodé prévient de toutes les supercheries scénaristiques alors qu'un résumé exhaustif de l'œuvre amène plus rapidement le cœur au bord des lèvres que la larme à l'œil.
Les auteurs s'en seront tenu à un répertoire classique correctement manié mais sans ambition et très mal pourvu en réalité. D'un début balbutiant, l'œuvre aboutira finalement d'un épilogue irréfléchi. Un habitué des fins bâclées saura cocher l'une après l'autres les cases inhérentes au genre. Le mariage, les alliés qui se dispersent aux quatre vents - Kenshin encore - l'idée d'un renouveau car on n'ose réellement conclure... j'aurais pu écrire la fin les yeux fermés sans omettre les questions qui resteront sans réponse et sans intérêt quoi qu'il en soit.


Le pouvoir de l'Amour dans un manga, même bien enrobé, émet toujours une fragrance bien particulière qui n'aura su échapper à mon odorat. L'odeur m'aura tant irrité les nasaux et je pouvais la distinguer même embusquée sous une infinité de couches de noirceur simulée. Ce genre de philosophie de Shônen, j'ai assez marché dedans - et trop souvent du pied gauche - pour savoir la reconnaître une fois confronté à cette dernière.
Incontestablement plus subtils et adroits que la plus significative part des auteurs de Shônen, Yang Kyung-Il et Youn In-Wan auraient sans doute bénéficié de ma bénévolence de lecteur s'il n'avaient pas été à la barre d'un Seinen.
Ils furent ces boxeurs talentueux - mais pas virtuoses - qui n'essuyèrent que défaite sur défaite alors qu'ils boxaient une, si ce n'est deux catégories au-dessus de celle où ils auraient pu démontrer leur potentiel.
J'ai lu un Shônen stylisé un peu plus sanglant que ce que ne saurait permettre la médiane du genre. Sympathique par endroits, mais je n'ai lu que ça. Nous sommes dès lors très en-deça des prétentions d'un Seinen qui puisse se targuer d'être seulement correct. Il n'y avait ni projet ni volonté derrière Le Nouvel Angyo Onshi, simplement le besoin d'en mettre plein la vue avec la lumière bien terne d'une œuvre qui n'aura pas su rayonner.

Josselin-B
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le 10 juin 2020

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Josselin Bigaut

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