Critique et extraits sur: https://branchesculture.com/2016/07/11/le-tour-de-france-2016-bd-officielle/
Bon, pour voir un Tour de France palpitant, cette année encore ce n’est pas gagné. Entre Richie Porte qui n’attaque désespérément pas, Nairo Quintana qui estime encore avoir à apprendre (pour gagner le Tour à 60 ans?), les autres qui montrent leur limite face au « Kenyan-nibale » Froome et les grands calculs (plutôt que les grandes manoeuvres) des équipes, il y a de quoi couper l’appétit de plus d’un amateur de la petite reine. Et si le spectacle était ailleurs? Dans une époque résolue faite d’héroïsme, de folie, de courage et de dévouement de soi. Ainsi la bande dessinée officielle du Tour de France, éditée par TJ Editions (une petite maison d’éditions carolo qui monte qui monte), nous ramène aux belles et grandes heures de la Grande Boucle, à coup de pédales et d’anecdotes parfois méconnue, toujours intéressantes.
Montgeron, 9h13, l’animation est inhabituelle dans ce petit village à un jet de pierre de la capitale, devant le café bien nommé « Au réveil matin ». On attend les héros d’une nouvelle ère, lancés sur deux roues, les boyaux noués autour du coup comme des boas. On pare plus à l’utile qu’à l’agréable et l’esthétique, car la route va être longue et il faudra compter sur une dose de veine dans la musette pour faire valoir ses chances. Par tous les maux, les vents et les tempêtes, ces pionniers vont se lancer, parfois inconscients, dans un Tour de France qui compte alors six étapes pour 2428 kms (à titre d’exemple, cette année, la 103ème édition fait 3519kms bouclés en… 21 étapes!).
Le Tour en est à ses balbutiements, les coureurs sont seuls au monde, ne peuvent recevoir d’aide extérieure et ne doivent compter que sur eux-mêmes, de jour comme de nuit, à vélo tant bien que mal ou à pied quand la pente est trop difficile. Dans les premières années, on veille même à ce que ces sportifs partent au charbon armés du même matériel sans distinction ni avantage. On est bien loin de ce sport devenu ultra-professionnel, dans lequel les équipes ne laissent plus ni le matériel ni les tactiques au hasard.
Sans le savoir, ces héros inaugurent une épreuve qui n’a cessé de gagner en popularité et en aura, au détriment parfois du charme d’antan. Et si les anecdotes des commentateurs du Tour ne ratent pas chaque année, prouvant la richesse de cette épreuve centenaire, il reste beaucoup à en apprendre. Et ça tombe bien, dans cette BD officielle (qui tranche avec les produits vaguement humoristiques et peinant à sortir du carcan du simple produit marketing sans valeur ajoutée), Didier Ocula est parti musarder (à bon escient!) sur les chemins du Tour, de 1903 à 2016, pour accumuler sous sa pédale de conteur quelques formidables anecdotes. De la crise de foie du Cannibale (un euphémisme) à la légende de la lanterne rouge en passant par l’histoire de la photo sur le tour, la colère d’Octave Lapize (qui adressa aux organisateurs encore « amateurs », un célèbre: « Vous êtes des meurtriers ») ou l’ivresse d’Abdel-Kader Zaaf. Sans oublier l’histoire des maillots et celle de la Caravane du Tour.
Les visages sont plus ou moins connus, le lecteur découvre quelques fortes personnalités qui, s’ils n’ont pas marqué leur nom au palmarès du Tour gagnent à être connus. Racontée sur une ou deux planches, les histoires racontées économisent les mots pour laisser les coudées franches et le braquet solide au duo italien qui officie à mettre des images sur ces petites épopées de la grande histoire de la Grande Boucle. Et avec Thomas Liera et Sergio Gerasi, le casting est de choix! Le premier, enseignant à la Haute-École Albert Jacquard à Namur, est issu de l’école Disney tandis que le deuxième a déjà fait de belles preuves dans l’univers du comics italien (Dylan Dog entre autres). Et l’alchimie fonctionne à merveille.
Le trait est dynamique, la cadence est soutenue, et au fil des pages, les coureurs s’animent pour s’échapper des cases et des bulles pour trotter un moment dans notre esprit. D’une belle richesse de mise en pages et de cadrages, les dessinateurs rendent un bel hommage au petit monde du tour sans oublier de souligner la puissance de la montagne, la difficulté des pavés, le bonheur de la campagne et la délivrance une fois venue l’heure de se frotter à la plus belle avenue du monde. Les couleurs de Karel D’Huyvetter et Patricia Van Espen parachèvent ce bel ouvrage qui rafraîchit la mémoire, ne joue jamais à l’accordéon et fait la course en tête des ouvrages « officiels » qui ont vraiment quelque chose à raconter. De quoi allumer la mèche et lancer une nouvelle série? Ce n’est pas un pétard mouillé en tout cas!