Abel rêve. De voyages. Seul dans la ferme héritée de ses parents qu’il entretient depuis que ses frères ont mis les voiles, Abel n’en peut plus de ce foutu pays et de cette vie rythmée par les corvées. Se lever à l’aube, traire les vaches, sortir les chèvres, labourer les champs. « Moi ce que je voulais, c’est être marin, prendre le large, voyager : Conakry, Singapour, Tahiti… ». Mais Abel a vieilli et il n’a jamais pu franchir le pas. Partir. Pour de bon. Les guides touristiques s’entassent sur les étagères du salon, les saisons passent, et Abel en est toujours au même point. Sa détermination semble cette fois bien réelle, et malgré les moqueries des autochtones qui l’ont surnommé « Le capitaine » et n’ont jamais cru à ses envies d'ailleurs, Abel sait que l’heure est venue.
Étrange album à l’atmosphère nostalgique mettant en avant la rudesse de la vie à la campagne. Il est touchant Abel, fragile, sensible, timide, perdu dans des rêveries auxquelles il persiste à s’accrocher, sans doute pour trouver la force de sortir de son lit chaque matin et de donner du sens à une existence sans aucun relief. Dans son bled paumé, le ciel est bas et gris et les mentalités restent au ras des pâquerettes. Il y a une forme de cruauté permanente chez les paysans frustes qui peuplent les histoires rurales. Abel m’a rappelé les personnages d’André Bucher ou de Franck Bouysse, ces taiseux solitaires et bourrus évoluant dans un environnement âpre et difficile à supporter.
Une réflexion triste et mélancolique sur le temps qui passe et jamais ne se rattrape, sur ces choix que l’on ne fait pas, ces regrets qui nous hantent, ces départs toujours reportés et jamais pris. J’aurais voulu sortir bouleversé de cette lecture mais ce n’est pas le cas. L’album est pourtant très réussi, aucun doute là-dessus, mais il m’a manqué un petit quelque chose. J’ai eu l’impression que tout allait trop vite, que certains aspects auraient mérité d’être creusés (l’enfance du vieux fermier, la relation avec ses parents, l’attitude de ses frères). En fait, j’aurais voulu passer plus de temps avec Abel, partager davantage de choses, le côtoyer au fil d’un roman graphique de 200 pages par exemple. Je l’ai quitté trop rapidement et il m’a laissé en bouche un goût de trop peu. Dommage, parce que c'est typiquement le genre de personnage que j'adore.