« Bon alors Raoul, tu tires ou tu flingues? » Loirat et Chanoinat ressuscitent le monde de Lautner
On les a vus et revus à la télé, plusieurs fois par an, en noir et blanc ou colorisé, on en a cité les plus grandes citations de films de gangsters, d’Audiard aussi. Et, plus de 50 ans plus tard, le mythe est loin d’être terminé. Ventura, Constantin, Blanche, Blier vivent toujours, plus que jamais même, dans l’imaginaire populaire et une certaine nostalgie d’un certain cinéma, de Papa certes mais tellement réjouissant et de haut-vol. Que seraient-ils devenus ces Flingueurs? Aujourd’hui, c’est au tour de la BD de nous donner des pistes et de les faire (re)vivre avec, notamment, Les aventures de Raoul Fracassin, de deux Philippe, Chanoinat et Loirat aux éditions Jungle.
Raoul Fracassin, c’est Lino Ventura, le meilleur élément des services secrets français. Pourtant, il vient tout juste d’essuyer un échec cuisant à Dallas: il n’a pu empêcher l’assassinat de Kennedy. « Ca sent le chienlit » et De Gaulle (interprété par lui-même) de lui remonter les bretelles. Mais une autre mission internationale va très vite lui être donnée: nous sommes en juin 1964 et le Roi Mustapha 129 du Taginastan vient de mourir empoisonné par son félon de frère, Ibrahim Moktar Ben Fourboul, qui convoite le pouvoir. Il est proche du but mais il lui reste encore à éliminer son neveu, logiquement héritier du trône. C’est là qu’intervient Fracassin pour surveiller et protéger l’héritier actuellement en Suisse pour ses études. Il s’est désormais réfugié dans la planque du Bourget. C’est là que file Raoul pour retrouver des agents ennemis de pays amis pour faire force commune: l’Américain James North (Michel Constantin), le Russe Vladimir Routine (Bernard Blier) et l Lord Winston Caine (Francis Blanche). À ces quatre-là, il faudra laisser les broutilles de côté car l’affaire risque vite de dégénérer. Les mercenaires kraspiens, dont le président Boris Vaporeff a passé des accords avec Ben Fourboul, semble bien décidé à tout faire péter pour récupérer l’héritier. Bref, ça va flinguer de tous côtés!
Mine de rien, Georges Lautner (paix à son âme et son talent) peut se targuer d’avoir créé quelques uns des personnages les plus emblématiques du cinéma français. La preuve, on n’en parle toujours aujourd’hui et on se les réapproprie indéfiniment (la preuve avec le dernier Lucky Luke signé, entre autres, par Laurent Gerra que l’on sait enfant de la balle). Ici, Philippe Chanoinat et Philippe Loirat y arrive aussi plutôt bien dans cet hommage qui aurait clairement eu sa place dans la filmographie de Lautner. Il y a à la fois du mimétisme (des répliques à la Audiard quasiment à chaque planche et qui méritent de devenir cultes elles aussi. Bon allez petit coup de cœur pour celle-là: « Je vais leur faire du Baudelaire façon Général Patton« ) et de l’originalité couillue. Du bagout aussi, car il en faut pour oser, avec raison, récupérer un Robert Dalban, un Jean Lefebvre, des Lino Ventura sans trahir leur esprit. Sans en faire une parodie plate, risible, inutile et sans envergure. Ici, de l’envergure, il y en a et tout fonctionne.
L’histoire tient la route (même si on ne peut pas en dire autant des voitures de cette histoire) et les caricatures de Loirat sont excellentes, géniales (j’ai même poussé le vice jusqu’à aller sur sa page Facebook, que de trésors!). On lui reprochera peut-être un certain côté figé dans son dessin. Mais non même pas! Car ce dessin crie également qu’en 50 ans, tous ces héros n’ont pas bougé, pas changé et qu’un « simple » trait de crayon réussit à ranimer la flamme. C’est jouissif, hors-norme et, en tout cas, de bien beaux héritiers!