[Critique de la série]
Au crépuscule du Journal de Tintin (1946-1988), aux côté d'Aria, d'Adler, ou du sympathique Capitaine Sabre (critique ici), paraît à partir de 1980 Lester Cockney, qui restera, je trouve, la meilleure série de la décennie, issue de l'hebdomadaire.
Irlandais au caractère bien trempé, Lester est enrôlé de force dans l'armée coloniale britannique après s'être fourré dans un sale pétrin. Il va vivre au long de 9 albums des aventures l’entraînant de l’Afghanistan jusqu'aux États-Unis, en passant par l'Europe centrale, au milieu du XIXème siècle. Il fera la connaissance de deux charmantes compagnes, une Indienne et une Hongroise, avec lesquelles il formera un trio original, détonant et rapidement attachant.
Dans ce premier tome, sur fond de première guerre anglo-afghane, le fougueux Lester, qui s'avère être un cavalier émérite, n'a cependant pas l'intention de moisir dans l'armée (surtout chez les Redcoats !); il ne tarde d'ailleurs pas à se faire des ennemis, notamment au sein de sa hiérarchie, mais heureusement aussi de précieux alliés, dans une atmosphère qui rappelle le sympathique film d'Henry Hathaway, Les Trois lanciers du Bengale (Garyyy !!!).
Grand amateur de chevaux devant l’Éternel, Franz, comme dans toutes ses séries que je connaisse, mais particulièrement dans celle-ci, s'en donne à cœur joie : quasiment pas une page sans cheval, et y a pas à dire, il les dessine bougrement bien ! (Et on sait que croquer un équidé c'est pas de la tarte.)
Et nos amis les chevaux ne sont pas les seuls à être bien dessinés. Franz est un illustrateur talentueux, mais son trait est particulièrement fin dans cette série, avec une minutie dans les détails, impliquant certainement un important travail de recherche de la part de ce passionné d'histoire, et des décors très soignés, aussi bien architecturaux que naturels (j'ai notamment de beaux souvenirs des paysages désertiques du tome 4, de la campagne hongroise dans le 5).
Les couleurs sont à l'avenant, avec de beaux aplats (des oranges crépusculaires notamment) et une palette variée.
Le créateur de Lester Cockney, qui avait auparavant illustré quelques titres (Jugurtha, Hypérion), est également reconnu pour son talent de scénariste. Il signe justement ici sa toute première œuvre à la fois au dessin et au scénario. C'est là que je suis un peu plus réservé que d'aucuns. Pour avoir lu d'autres séries de lui (Poupée d'ivoire, Brougue), je trouve qu'il y a toujours quelque chose qui pèche plus ou moins du côté du scénario. Pas au niveau de la trame narrative, qui est ici bien ficelée et entraînante, mais dans l'écriture. Il y a quelque fois des lourdeurs dont je me serais bien passé. Des sortes d'envolées lyrico-métaphysiques, le temps d'un cartouche ou d'un phylactère réflexif. Non merci ! Donne-moi juste de l'aventure, là, du beau périple, c'était très bien comme ça, là, un peu de castagne si tu veux, un peu d'humour, c'est toujours sympa, et puis voilà, c'est déjà beaucoup ! J'ai rien contre les envolées, hein (je citerai encore Pratt, Le Gall) mais là ça fait un peu tache, sur un tableau si joli... Heureusement, ça reste suffisamment rare, voire quasi absent selon l'album, pour qu'on puisse passer outre ces petits égarements (on sort quand même des seventies, et on sait que la passion des chevaux peut vous chambouler un être)... Le style de l'auteur devient d'ailleurs de plus en plus maîtrisé au fil des aventures, avec ici et là de belles sorties, comme s'il y avait eu un mûrissement, même si ça reste toujours un petit poil trop écrit (d'autant plus qu'il sait très bien transmettre par l'image).
Et puis vraiment, ce côté ridetrip, à travers le Moyen-Orient, les Balkans et l'Europe centrale, qu'est-ce que c'est plaisant ! Chaque album est par ailleurs un véritable documentaire visuel des contrées parcourues, avec pas mal d'informations culturelles et contextuelles, qui ne viennent cependant jamais alourdir le récit.
Lester Cockney c'est sûrement une des meilleures séries réalistes à être parues dans Tintin, et, de mon point de vue, c'est la meilleure œuvre de son auteur.
A noter qu'en marge de la série, deux albums sont parus, relatant la jeunesse irlandaise du héros (à noter que Franz a vécu en Irlande), Irish Melody et Shamrock song, qu'il me tarde de découvrir !