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A Xhystos, ville à l’emplacement géographique indéterminé, Franz accepte une mission vers la cité de Samaris dont on reste sans nouvelles. Les derniers voyageurs à destination de Samaris ne sont jamais revenus à Xhystos…


Le voyage, épuisant, dure une douzaine de jours. Enfin, debout dans une barque, Franz arrive sur un plan d’eau écrasé par les murailles de Samaris. Il y trouve une ambiance étrange où les gens restent distants et où il a du mal à se repérer. Chaque détail qu’il retrouve est dans un décor différent de celui auquel il était associé dans sa mémoire. Chaque jour, il retrouve Carla, une élégante jeune femme brune qui ressemble étrangement à Clara, la sœur cadette de sa maîtresse à Xhystos. Décidé à quitter Samaris où il ne se passe rien, Franz tente de convaincre Carla de l’accompagner. Elle prétend qu’elle ne peut pas…


Cet album est le premier d’un projet monumental intitulé Les cités obscures réalisé par Schuiten (dessins) et Peeters (scénario). L’histoire fait partie des révélations de la défunte revue (A SUIVRE) éditée par Casterman. Une production qui tranchait de façon remarquable par rapport à ce qu’on connaissait jusque-là. Le succès public a permis aux auteurs de poursuivre leur projet en allant au bout de leurs envies d’exploration de tous les domaines du possible. En effet, au premier abord, cet album a l’aspect d’un classique de la BD franco-belge. Mais son format est à l’image de l’histoire, tout en trompe-l’œil.


Le style graphique de François Schuiten est celui d’un amateur d’architecture très inspiré par le style Art Nouveau qui imprègne aussi bien les façades d’immeubles que les décors (meubles, moyens de transports par exemple) de Xyhstos. Le dessin réalisé dans des teintes pastel permet de concevoir des éléments architecturaux et des décors d’une richesse et d’un raffinement inouï. A noter que l’architecture de Samaris est plutôt de style baroque. L’esthétique de l’ensemble est magnifique, pourtant les cadrages donnent une sensation étouffante qui pourra rebuter certains. C’est évidemment voulu, mais on peut reprocher à cette BD de manquer de vie. En mettant en évidence l’aspect monumental des lieux, les cadrages donnent une sensation de froideur dont on ne se départit jamais tout au long des 44 planches.


Les humains ne sont que des pantins. Les personnages principaux sont bien les villes. Ainsi, la quatrième de couverture de l’édition originale présente une partie de la planche 24, avec un dessin large qui rappelle au cinéphile le plan d’ouverture d’ Obsession (1975) de Brian de Palma, thriller somptueux où une église florentine est présentée en contre-plongée… Comme ici, le héros est pris dans une machination infernale.


Les vignettes sont avant tout conçues comme des instantanés successifs, mettant en évidence les lieux et l’impression écrasante de l’homme dominé par une ville, ce qui apparaît notamment sur les dessins de plus grande taille. Bien que cet album soit le premier d’une série, on sent une aisance impressionnante dans le trait et la présentation. Les dessins sont de tailles très variables. Les plus petites vignettes permettent de faire avancer l’action, de montrer les personnages et de fournir des informations au lecteur, tandis que les plus grosses donnent l’ambiance générale, avec une belle science des cadrages, sans nuire au découpage et à l’organisation des planches.


Le scénario est linéaire. Tout est raconté du point de vue de Franz. La première partie (11 planches) à Xhystos présente un monde étrange. Le voyage (5 planches) montre une campagne désolée et apparemment désertée. La partie à Samaris (24 planches) permet au lecteur de découvrir en même temps que Franz les mystères de cette ville. Restent 4 planches…


Dès le début, on remarque que les pensées de Franz sont dans des phylactères à fond pastel, alors que les dialogues sont dans des phylactères à fond blanc. Les deux cohabitent naturellement sur une même vignette dès la seconde planche. Les auteurs maîtrisent parfaitement l’art narratif collaboratif du neuvième art. Un album marquant qui inaugure la série des cités obscures qui comprend notamment La fièvre d’Urbicande (1985), La tour (1987) et L’archiviste (1987) tous surprenants (formats, association ou alternance entre noir et blanc et couleurs, parfois beaucoup de texte, parfois peu) ainsi qu’un site Internet qui présente expositions antérieures et projets futurs.


Le scénario paranoïaque de Benoît Peeters est remarquable. Les influences réciproques entre le cinéma et la BD incitent au rapprochement avec The Truman show (1998) réalisé par Peter Weir sur un scénario d’Andrew Niccol. Pour revenir à la BD, la fin vertigineuse est d’une logique imparable.


L’édition actuelle est complétée par des fragments d’un projet qui n’a jamais trouvé de conclusion satisfaisante. Les mystères de Pâhry comporte 3 parties en noir et blanc datées de 1984, 1994 et 2007. Une quatrième, en couleurs, intitulée L’étrange cas du Dr. Abraham pourrait être indépendante, mais elle ne fait que 12 planches et l’esprit de sa conclusion la rattache incontestablement aux trois autres. Bien dans la manière Schuiten/Peeters, une bonne partie du récit est constitué de lettres et on y retrouve des obsessions qui évoquent La fièvre d’Urbicande. Outre la référence littéraire (Les mystères de Paris, roman feuilleton d’Eugène Sue, paru entre 1842 et 1843), la double page introduisant Les mystères de Pâhry se passe dans le métro, station « Arts et métiers » où un panneau de correspondance (ligne 11) indique la direction Châtelet : clin d’œil à Mézières et Christin (Métro Châtelet direction Cassiopée). Question références et influences plus ou moins évidentes, je note également Enki Bilal (La foire aux immortels) pour la description d’un Paris futuriste plongé dans l’anarchie, Marc-Antoine Mathieu (Les sous-sols du Révolu) dans le chapitre 2, ainsi que de nombreux détails qui évoquent la série des cités obscures, notamment La tour et L’archiviste. Le refus de l’auto-plagiat, l’évolution de leur travail vers d’autres albums et la gestation sur une durée incroyablement étalée ont donc eu logiquement raison de l’achèvement de ce projet. Les chapitres présentés méritent néanmoins un regard attentif, car ils complètent un ensemble qui a marqué le monde de la BD.

Electron
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le 2 oct. 2016

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