L’avant-première en présence de Bertrand Tavernier fut un régal. Le débat a mis en évidence sa connaissance encyclopédique du cinéma (son Anthologie du cinéma américain est une référence). Une connaissance qui lui permet, grâce à sa propre expérience de réalisateur, de sentir beaucoup de choses, choisir les acteurs qui conviennent et les placer dans des conditions où ils donneront assez naturellement le meilleur d’eux-mêmes.


Illustration avec Raphael Personnaz (Arthur) et Anaïs Demoustier (Marina), un couple qui fonctionne grâce à des gestes que le spectateur perçoit comme des habitudes (arpenter le couloir d’une école pour Marina, s’habiller n’importe comment pour Arthur), en brodant un peu par rapport à la BD (2 tomes et plus de 200 pages en tout) qu’il adapte ici.


Bertrand Tavernier connaît sur le bout des doigts le genre rythmé de la « screwball comedy » qui fit la gloire de ses illustres aînés que sont par exemple Hawks, Capra et Lubitsch. Il a dirigé ses comédiens dans cet état d’esprit : quel rythme ! Il s’agissait pour eux de jouer sérieusement, le comique venant tout à fait naturellement grâce aux situations et aux dialogues.


Les impressions risquent d’être assez différentes pour ceux qui connaissent déjà la BD et les autres. Ainsi, le personnage de Taillard de Vorms n’a pas ici la même carrure que dans la BD. De ce fait, entre autres, le film fait un peu moins dans la caricature que la BD. A mon avis c’est un bon choix, car en filmant ainsi, Tavernier rend les situations et les personnages plus vrais, sans enlever la dimension caricaturale et l’aspect comédie. On échappe à l’adaptation catastrophique d’une BD, car Tavernier s’est approprié l’esprit tout en pensant cinéma. On retrouve l’ambiance surréaliste du microcosme politique où un personnage comme Taillard impose un rythme d’enfer à tout son entourage (on pisse, on mange quand l’occasion s’en présente), pour s’imposer lui-même au sein du gouvernement et sur la scène internationale. Le jeune Arthur Vlaminck est convoqué au Quai d’Orsay où il est reçu par le ministre Alexandre Taillard de Vorms (Thierry Lhermitte étonnant et remarquable) qui l’écoute à peine, obnubilé par ses idées. Taillard de Vorms l’engage et lui confie une mission étonnante : le langage. Concrètement, Arthur interviendra dans la communication du ministre, essentiellement la rédaction de ses discours. Au ministère, on sait que Vorms exige que les discours soient réécrits à longueur de journée. Arthur est rapidement mis au parfum. Alors si quelqu’un dit OTAN, on se doit de faire de l’esprit (voir le titre de la critique), plutôt qu’un discours convenu. L’ambiance dans le ministère est un élément clé du film. L’action passe d’une pièce à l’autre assez rapidement. On croise de nombreux personnages. Exemple de moment savoureux quand un collègue détaille l’organigramme du ministère à Arthur. Un incroyable casse-tête ? Oui, comme dans la réalité !


Le rythme infernal est celui du ministre qui est toujours dans ses idées et veut constamment aller de l’avant. Je suis le mouvement finit-il par dire, non pas qu’il le suive (ça c’est pour les autres). Malheureusement, s’il crée du mouvement, le spectateur peut retenir comme impression que c’est plutôt sur une idée directrice de mouvement que sur des idées politiques pourtant réelles. Illustration avec la position que la France doit adopter vis-à-vis de l’Allemagne. La France aurait promis un soutien pour son entrée au conseil de sécurité de l’ONU. Mais Taillard de Vorms traîne franchement des pieds pour confirmer cette attitude. Alors, il va aux renseignements à droite à gauche. On remarque à l’occasion que ses relations avec les autres membres du gouvernement sont troubles et que le président de la république n’apparaît jamais.


D’autre part, Taillard de Vorms est obnubilé par les écrits du grec Héraclite (VIè avant JC) dont les écrits (dans un petit livre rouge) constituent sa Bible. Pour preuve, il en a stabiloté (dans la BD c’était stabilossé) tellement de phrases, que les pages gondolent de partout. C’est le public qui se gondole en réalisant la naïveté du raisonnement. Le ministre étant toujours en mouvement, quand il passe dans une pièce, cela crée un courant d’air qui fait voler des feuilles (3 jours de mise au point de la technique pour qu’elle rende correctement à l’écran). De plus, avant sa première apparition, on entend claquer les portes avec de plus en plus de bruit à mesure que le ministre approche, comme si un T-Rex arrivait. Le personnage de Taillard de Vorms est donc traité comme un caractériel capricieux aux réflexions parfois naïves, alors qu’il traite des affaires du monde avec les plus hauts dignitaires internationaux. La mémoire étant ce qu’elle est, le spectateur est davantage marqué par ces détails saugrenus que par le jeu politique autrement plus déterminant. Oui, ça fait peur, car toutes ces personnes sont constamment sur le fil en ayant d’innombrables dossiers brûlants à traiter en même temps. En grand enfant cherchant avant tout à se faire valoir, Taillard s’en remet souvent à ses subordonnés et préfère manger avec un prix Nobel de littérature en monopolisant la parole qu’honorer un rendez-vous politique déjà souvent reporté.


Astucieuse mise en scène de la période post-11 septembre 2001, ce film évoque la période où les américains cherchaient à embarquer tous les états dans leur quête furieuse de vengeance. Le président français de l’époque était Chirac et Dominique de Villepin son ministre de l’intérieur. Le film se termine par un discours historique du ministre devant le conseil de sécurité de l’ONU. Longtemps symbolisé par quelques mots d’ordre à géométrie variable (légitimité, unité, réactivité,…) le travail sur le langage atteint un sommet à cette occasion.


On aimerait croire que l’essence (la quintessence ?) de l’action politique ne se résume pas à quelques intentions louables au sein d’une sorte de pantalonnade. La faute à la complexité de notre monde, mais aussi aux politiciens qui se complaisent dans leurs échanges quotidiens de phrases plus ou moins lourdes de sens. Et, passer de silhouettes dessinées (caricaturées) à des personnages filmés laisse entendre qu’on se rapproche de la réalité. Le travail politique se résume-t-il à une confrontation d’egos surdimensionnés ?


Le cadre prestigieux est bien rendu et le casting est… royal. Thierry Lhermitte n’a plus la superbe de ses débuts, mais il garde la prestance et l’autorité qui permettent de faire sentir que Taillard de Vorms cite Héraclite en connaissance de cause. Raphael Personnaz est à la hauteur. En chef de cabinet, Niels Arestrup est impressionnant. D’un calme olympien, il laisse entendre qu’il peut régler certaines situations tendues du moment qu’on lui laisse quelques minutes dans le calme absolu. Vues et appréciées, Marie Bunel et Jane Birkin et surtout Julie Gayet en calculatrice capable de se contredire avec le sourire.

Electron
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le 5 nov. 2013

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