Se déplacer au cinéma pour aller voir une comédie avec Thierry Lhermitte, franchement, on m’aurait prédit ça il y a un an, j’aurais bien ri, en pensant le faire davantage à ce moment-là que devant le futur film en question.
Le film étant de Tavernier, l’argument s’affinait, mais ne connaissant pas la BD, c’était avec une certaine prudence que j’ai abordé cette embarcation pour les arcanes loufoques du pouvoir.
Le film est une réussite. Enlevé, presque cartoonesque dans son traitement, assumant en cela sa filiation avec la bande dessinée (notamment avec les portes qui claquent, les livres qui fusent et les feuilles qui volent systématiquement dans les pièces), il dépeint avec brio un univers de cour codé à l’outrance dans lequel on doit composer avec les egos qui, plus ils sont haut placés, plus ils se permettent les excentricités les plus absurdes.
C’est l’anti Exercice de l’Etat, film au demeurant lui aussi très réussi, mais qui prenait le parti d’évoquer avec sérieux cette machine. Ici, c’est par le rire et un goût affirmé de la caricature qu’on dévoile les mécanismes du pouvoir. Souvent vraiment drôle, notamment par l’insistance de certaines séquences (comme une dissertation sur la fonction du stabilo dans un livre ou l’apprentissage de la grammaire des coups bas entre collaborateurs), le film dessine une galerie très juste de personnages tous aussi névropathes qu’attachant, qu’un Niels Arestrup de génie, tout en retrait et en fatigue rentrée, gère d’une main de maitre.
Mais l’intérêt réel est de ne pas instrumentaliser le comique au service d’une dénonciation convenue et cent fois rebattue.
Le véritable sujet du récit est en effet le langage, la mission d’Arthur. La trame, c’est celle de l’écriture d’un discours, ses infléchissements au gré des événements et, surtout, l’impossibilité de la tâche qu’on confie à un cabinet, à savoir la rédaction collective d’un document qui sera lu par une seule personne. Les échanges les plus intéressants sont là : le ministre donne des directions, des intentions, des mots clés qui noient les collaborateurs parce qu’ils insistent en permanence sur la forme sans qu’on sache jamais ce que le fond doit transmettre. En cela, le personnage du ministre est la grande réussite du film. Volubile, convaincu, incompréhensible, poseur, il est une pure forme (d’où la conversation qui vise à déterminer s’il est un acteur ou un anti-acteur) qui, au moment critique qui achèverait de démasquer son incompétence, dévoile une profonde compréhension des enjeux et de la situation dans laquelle tous se démènent. Pour peu qu’on ait toujours considéré que Lhermitte ne joue pas vraiment et se contente d’être lui-même (avec charisme, certes) depuis le début de sa carrière, l’avoir choisi pour ce rôle est d’une grande intelligence. Jouant malicieusement de son air d’illuminé, traversant les pièces à cent à l’heure, il donne toute sa vigueur au film, qui peut aussi s’avérer assez tendre dans le regard qu’il porte sur son protagoniste et sa fiancée, les jeunes apprentis singeant avec sourire ceux qui nous dirigent.
Fraîche, bien troussée, plus subtile qu’il n’y parait, voilà précisément ce qu’on peut appeler une comédie réussie, et qui plus est particulièrement française.