Les aventures de Kébra
7.3
Les aventures de Kébra

BD (divers) de Tramber et Jano (1997)

Né en 1960, Kébra ne connut pas d'aventures en BD avant 1978, soit à 18 ans seulement – à l'âge con donc, à l'âge bête. Créé par les plumes de Tramber et Jano, respectivement le narrateur et l'artiste, il se présenta d'abord sous les traits d'un simple loubard de banlieue qui pointait sa truffe dans le deal des protagonistes principaux d'une histoire courte, avant de devenir le héros de ses propres bandes. Encore que le terme de « héros » ne lui convient pas forcément très bien : si à la manière des cartoons il arbore un certain anthropomorphisme, mais d'inspiration bien française, il reste néanmoins un pur produit de son temps, soit la période post rock & roll à nette tendance punk, c'est-à-dire sans aucune considération pour les valeurs sociales.


Kébra, à vrai dire, est un pur délinquant, comme l'indique très bien son nom d'ailleurs, mais pour peu qu'on le prononce à l'endroit et non en verlan. Lui et ses potes des Radiations, son groupe de rock champion du massacre des grands titres comme de ceux qu'il compose, il vit sur le dos des autres – de préférence en les insultant – et n'aspire à rien d'autre qu'à de la dope et des femmes, mais aussi du fric facile et une célébrité d'autant plus douteuse qu'elle repose sur le tapage nocturne, la violence urbaine et les deals en tous genres. Surtout les plus foireux d'ailleurs... Kébra est une loque, en fait, un merdeux qui parle trop fort et sans même un grand cœur mais au langage si exotique qu'il en devient vite charmant. 'Façon de parler, bien sûr...


En réalité, donc, Kébra est un con, mais un con attachant, comme peuvent l'être tant d'imbéciles. Il se la joue toujours trop, râle en permanence, s'enflamme pour un rien, chie sur ses parents qui le valent bien, blinde truffe baissée dans les pires emmerdes au guidon de son vespa rose bonbon, trouve toujours le moyen de tomber dans les pattes de la bande à Kruel et de ses Hell's avec lesquels il vaut mieux ne pas trop rigoler, et à chaque fois en redemande. Pur archétype du loubard en jean et perfecto, Kébra compte parmi ces bras cassés qui ne parviennent jamais à rien en raison de leur inaptitude à vivre avec les autres comme à travailler, et au lieu de ça accusent la société. On en a tous connu, des plus ou moins amusants, des plus ou moins tragiques...


Kébra, pourtant, reflète l'esprit de son temps. Ici, celui d'une époque où l'abondance touchait à sa fin et où deux chocs pétroliers avaient montré à l'occident combien il pouvait être fragile : dans cette crise qui s'amorçait, et qui présentait déjà plusieurs visages, les rebuts du système trouvaient une justification à leur existence mais aussi, pire, à leur paresse – si le monde d'après-guerre avait échoué à bannir ses démons, alors pourquoi ne pas compter parmi ceux-là après tout ? À travers ce constat désabusé, Tramber et Jano nous dressait un portrait de ces banlieues où, déjà, on laissait croupir des gens dont on avait ravi l'avenir ; mais un portrait aux accents de caricature du dimanche, de vaudeville postmoderne, de bonne blague en somme.


Loin d'une intégrale, Les Aventures de Kébra évoque plutôt un best of où on voit les gags en une planche simple évoluer peu à peu vers des aventures nocturnes et banlieusardes plus longues jusqu'à finir par sortir de ce cadre, signe que les auteurs avaient passé un cap et se sentaient prêts pour d'autres choses. Voilà pourquoi le lecteur conquis pourra envisager de compléter avec Kébra krado komix et La Honte aux trousses !, ainsi que Le Zonard des étoiles pour la beauté du geste. Quant à cette édition, on aurait apprécié une chronologie mieux respectée dans la présentation de ces bandes pour mieux restituer l'évolution du personnage comme celle de la narration et du trait, même si certains pourront penser que c'est un chipotage.


Car cet opus reste quoi qu'il en soit une compilation de très bonne tenue par son focus sur les premières années de la jeunesse dingue du rat le plus déjanté de la BD, avec couverture en dur et de bonnes reproductions pour ces courtes bandes à présent introuvables en librairie, et bien que certaines d'entre elles, ici, ne retiennent pas les quelques couleurs d'origines.


Alors, à quand l'intégrale définitive ?

LeDinoBleu
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Sans titre, la liste détestée...

Créée

le 21 oct. 2011

Critique lue 564 fois

5 j'aime

LeDinoBleu

Écrit par

Critique lue 564 fois

5

D'autres avis sur Les aventures de Kébra

Les aventures de Kébra
Alligator
4

Critique de Les aventures de Kébra par Alligator

juillet 2007: D'aspect rustique, c'est le moins que l'on puisse dire, cette bédé semble sortir tout droit d'une chambre de dessinateurs ados, post pubères. Le trait est grossier, noir, acéré, et...

le 16 nov. 2013

Du même critique

Serial Experiments Lain
LeDinoBleu
8

Paranoïa

Lain est une jeune fille renfermée et timide, avec pas mal de difficultés à se faire des amis. Il faut dire que sa famille « inhabituelle » ne lui facilite pas les choses. De plus, Lain ne comprend...

le 5 mars 2011

45 j'aime

L'Histoire sans fin
LeDinoBleu
8

Un Récit éternel

À une époque où le genre de l’heroic fantasy connaît une popularité sans précédent, il ne paraît pas incongru de rappeler qu’il n’entretient avec les légendes traditionnelles qu’un rapport en fin de...

le 17 août 2012

40 j'aime