Une histoire aussi invraisemblable méritait bien qu'on s'y attaque à coups de crayon. Borris s'y colle avec des partis pris originaux qui servent le récit : des personnages à groins et grandes oreilles qui semblent animalisés par les conditions indignes dans lesquels le siège de Leningrad les fait vivre, un traitement minimaliste de décors dévastés, un usage déprimant du noir... tout un arsenal graphique au service d'un épisode presque burlesque dans le quotidien tragique des citoyens assiégés : l'organisation d'un concert à des fins de propagande, histoire d'en remontrer un peu à Hitler, qui a annoncé la date de son offensive finale. Ce jour-là, Staline veut que la radio locale diffuse une symphonie composée tout exprès par Shostakovich, comme un bras d'honneur à l'envahisseur. Les grands de ce monde jouent avec le destin des peuples, et leurs aspirations sont parfois minuscules. Du coup, c'est toute une réflexion sur le rôle de l'art face à la barbarie qui est menée au cours de ce récit poignant, destiné à illustrer la misère dans laquelle la guerre précipite les gens et les expédients auxquels ils sont acculés. Mieux vaut ne rien en dire ici, sauf que ça rappelle Le pianiste de Polanski ou The Good German, qui eux aussi auraient dû suffire à nous dissuader à tout jamais du moindre conflit risquant de nous pousser à de pareilles extrémités. Finalement, il est question ici aussi de dignité et ça n'est pas une mince affaire.