Cette bande dessinée raconte les rencontres successives de Daniel Boitard, instituteur des Gens du voyage, avec une troupe de manouches menés par Archange, alias Tinoir.
Le livre s'attarde surtout sur l'arsenal de dispositions qu'utilise l'Etat pour rendre la vie difficiles aux manouches : le fait que depuis qu'ils ont eu obligation de se faire recenser dans les années 1930, ce qui a facilité leur déportation, ils portent deux noms, l'officiel et un nom caché. La crainte qu'ils ont de perdre leurs enfants. Les menaces des mairies, souvent illégales, pour les faire partir. Les huissiers. Les portiques limitant la hauteur dans les parkings de centre-ville, pour éviter la présence de leurs caravanes. Même lorsqu'ils possèdent un terrain, les tracasseries dues à la présence de caravanes. La difficulté à se faire comprendre de la justice.
Le livre ne cache pas non plus leurs difficultés à s'intégrer, leurs peurs irrationnelles, leur relative arriération du fait qu'ils ont rarement suivi une scolarité correcte. Leur folklore, mêlant superstition (la conviction qu'ils sont maudits, pour continuer à rouler ainsi) et un christianisme assez doloriste. Les injonctions de Tinoir à ses proches, en allant au tribunal, comme à des animaux : "Pas arriérés ! Pas arriérés !". La mémoire du génocide, le dernier à avoir été reconnu (une des bonnes mesures de Hollande). La caravane que l'on brûle à la mort du père de famille. On suit la dégradation de leur situation, sous Sarkozy, puis Hollande. Le livre se conclue sur une postface d'Henriette Asséo intitulée "Un siècle de politique tsigane française".
C'est un livre qui a le mérite d'aborder de manière parlante et pédagogique un sujet auquel nous tournons le dos. La thèse principale est que les Tziganes sont une richesse, et qu'ils sont les premiers à être touchés quand la démocratie va mal. Une démocratie qui fait fort peu pour eux. Cela faisait longtemps que j'avais envie de lire un livre à ce sujet, et c'est une bonne entrée en matière : cette BD a le mérite de donner envie de lire bien davantage sur le sujet.
Le dessin fait penser à celui d'un Baudouin : du réalisme, à l'encre de Chine. ça passe bien en général, mais ce n'est pas toujours du plus bel effet, et s'il y a quelques reproches à faire, c'est plus de ce côté-là : quelques choix esthétiques sont un peu contestables. Mais disons que le côté brouillon va bien avec le sujet.