Quoi de plus banal qu'un petit garçon qui désire embrasser une copine de classe ? Oui mais dans un pays de l'Est sous la dictature soviétique, cette anodine anecdote devient un incident qui provoquera une réaction en chaîne dramatiquement absurde. Bienvenue dans la nouvelle radiographie stalinienne de Marzena Sowa.
Après l'excellente série Marzi, il faut croire que la scénariste avait encore des choses à nous dire sur son vécu en Pologne communiste. Pour preuve ce nouvel album sensible, qui n'est pas cette fois-ci autobiographique, mais certes inspiré d'une ambiance délétère qui a bel et bien existé.
Tout débute avec un simple accroc de l'enfance. Mais le fait que cet incident a lieu lors d'une énième projection d'un film de propagande pose le décor et les enjeux.
Le récit va crescendo et le baiser pas volé du garçonnet va prendre de l'ampleur et mettre en lumière tout un système surréaliste, pour celui qui ne l'a jamais vécu.
Comme dans Marzi, tout est raconté du point de vue des enfants. La dessinatrice Sandrine Revel met son expérience d'ouvrages pour la jeunesse dans la balance, offrant son dessin doux aux cases arrondies à un récit âpre que révèlent les alternances d'ocre-brun, de bleu nuit et de gris.
Après l'incident du baiser, l'enfant se voit confronté à des notions floues telles que la délation, ou la traîtrise. On assiste à un choc entre le monde simple et universel des rêveries de l'enfance, et celui des adultes soumis à une dictature de l'esprit, fait d'interdits et de paranoïa.
Plus le récit avance et plus il s'effeuille : on découvre la vie de quartier, on s'imprègne des personnages, on découvre leurs dangereux secrets (l'une lit Flaubert, l'autre écrit des poèmes libertaires, l'une a une amante et celui-là a acheté un comics occidental...). Même ceux qui nous paraissent mauvais ne sont que des gens qui essaient de s'en sortir à leur manière.
Au fil des pages, les sentiments s'inversent : ainsi les enfants, dans une sorte de récit initiatique, découvrent la part sombre de l'âge adulte, et les adultes, eux, montrent qu'ils peuvent encore faire preuve de rêves.
Les gens continuent à disparaître du jour au lendemain ; l'éducation rime avec lobotomie, mais le livre se termine par une note d'espoir et un plaidoyer pour l'écriture et le dessin comme moyens d'expression permettant de communiquer, de s'exprimer, et de se libérer.