Hayao Miyazaki a bien envie de faire un film d’animation qui finira par s’intituler Nausicaä mais c’est une ambition assez coûteuse alors qu’il est encore au début de sa carrière, le studio Ghibli n’est même pas encore créé. Par conséquent, il en rédige un manga qu’il adaptera par la suite en animé afin de montrer tout l’engouement que peut générer son travail. Mais ce manga n’est pas du tout à voir comme un brouillon d’une œuvre finale plus aboutie et plus complète, c’est presque davantage l’inverse.
L’introduction met déjà l’accent sur une thématique centrale de l’animé : l’écologie, avec un monde en perdition suite à un épuisement des ressources naturelles de la Terre par une civilisation humaine qui n’a pas su se poser de limites à leur exploitation. On se retrouve ainsi avec un monde où il y a le désert, une forêt toxique gagnant du terrain et enfin quelques oasis dans tout ça où la vie est difficile mais encore possible. Autant dire que l’avertissement sur les conséquences d’un non respect de l’environnement est évident mais si aujourd’hui c’est assez courant, voire redondant pour certain(e)s, je rappelle que l’œuvre date de 1982.
Et si la planète se meurt, ce n’est pas pour ça que l’humanité est unie pour survivre dans l’harmonie tant que faire se peut puisqu’une guerre scinde cette humanité en deux camps ennemis, l'empire Dork et l'empire Tolmèque. C’est alors que Nausicaä, jeune fille vivant dans un de ses petits oasis va se retrouver entraînée dans tout ça alors qu’elle cherchait gentiment dans son coin à comprendre comment on avait pu en arriver là, comment fonctionnait cette forêt toxique, comment cohabiter pacifiquement avec les insectes géants la peuplant...
Bien évidemment, ce périple est une grande partie de l’intrigue du manga qui parfois s’en écartera pour développer d’autres personnages mais toujours pour revenir d’une façon ou d’une autre à Nausicaä. Si cette aventure s’accompagnera donc de thématiques très matures, leur traitement le sera également. Le manichéisme évident entre ceux qui n’en auraient rien à faire de la nature au profit de la guerre et les gentils qui voudraient la protéger au profit de la paix était un risque encouru par un tel scénario, le manga parvient à l’éviter principalement de par le traitement de ses personnages.
Déjà, Nausicaä ne restera pas ancrée dans une moralité exemplaire tout du long et sera amenée à évoluer au fur et à mesure des épreuves qu’elle vivra, incluant la mort de personnages attachants, l’échec à sauver des civils... Quand j’intitule ma critique par la citation « on ne peut rien faire face à la bêtise humaine », il faut la comprendre par un double sens. Puisque la bêtise (haine, cupidité...) est inhérente à l’humanité, on peut soit en conclure qu’il nous faut l’accepter et voir tout ce qui est bon à côté, soit que l’humanité ne mérite pas d’être sauvée en l’état et ne le méritera jamais. Et j’ai été surpris plus d’une fois par la justesse avec laquelle ces questionnements apparaissent et par qui ils peuvent arriver.
Parce que non, Nausicaä n’est pas le seul personnage très bien écrit du récit puisqu’on peut compter sur la présence de personnages plus secondaires à l’intrigue comme la princesse Kushana qui est l’un de mes personnages préférés tout manga confondu et qui, si elle avait eu plus d’impact sur la fin du récit, aurait pu être mon personnage préféré de ce manga. Non seulement elle a la classe, parce que c’est la première chose qu’on remarque chez un personnage mine de rien, mais surtout elle dégage un charisme auprès des autres personnages, elle fait preuve d’une intelligence et d’un courage exemplaire, elle sait évoluer pour apprendre de ses erreurs tout en restant fidèle à elle-même...
Un autre point fort de l’écriture, c’est l’univers qui est développé qui met en scène bien des factions différentes qui ont chacune leur culture, leur vision du monde... et le périple de Nausicaä va nécessairement l’amener à évoluer suite à la rencontre de toutes ces cultures. Même si cet aspect n’est pas autant mis en avant que je l’aurais voulu dans l’idéal, j’aime assez l’idée qui s’en dégage. On a d’un côté la voix de la guerre du point de vue d’une seule civilisation conquérante qui mène à la souffrance et à l’autodestruction, de l’autre la voix des échanges culturels qui mènent petit à petit à l’espoir d’un monde meilleur, c’est pas beau ça ?
Mais ce manga n’est pas seulement bien écrit, il présente aussi certaines phases d’action et l’ampleur de certaines batailles est très bien retranscrite également. Je pense notamment au tome 3, qui je pense est mon tome préféré, qui parvient à insuffler un souffle épique à tout ce qui peut s’y passer et sur un bon moment, quel dommage qu’il n’y ait jamais eu d’adaptation de ce passage au cinéma parce que pour le coup ça aurait pu être grandiose. Que ce soit l’aspect stratégique, les enjeux, le suspense... tout y est parfaitement maîtrisé.
La qualité des dessins est remarquable également avec cette tendance à mêler ce que le scénario qualifie lui-même de pureté et de corruption pour réellement illustrer l’essence-même de son propos qu’il verbalise. Plein de personnages ou de créatures sont dessinées de façon à symboliser l’un ou l’autre, on peut tout aussi bien voir un personnage féminin respirer à plein poumon un air pur avec les rayons du soleil sur son visage et les petits oiseaux virevolter autour que de voir un guerrier ensanglanté traqué par des têtes zombifiés détachés de leur corps.
Parce que oui, je ne vous l’ai pas encore dit mais le manga peut être très violent graphiquement à certains moments, en plus de faire mourir des personnages attachants comme je le disais plus tôt et de rendre crédible la mise en danger d’autres personnages, ce que j’ai trouvé assez osé de la part d’un réalisateur que j’ai surtout connu pour ses films pour enfants, voire pour jeunes enfants (Totoro, Ponyo, Kiki...). C’est vraiment une bonne chose qu’il se soit lâché sur son manga et ça rend l’œuvre assez atypique dans l’ensemble de son travail, principalement cinématographique nous sommes bien d’accord.
En somme, les messages portés sont intelligents, les thématiques abordées matures et au traitement pertinent, le style graphique réussi et audacieux, les personnages protagonistes comme antagonistes charismatiques, l'univers travaillé et cohérent... à part quelques soucis de rythme mineurs et une fin qui n’est pas assez conclusif à mon sens, parce que ça serait dommage de ne pas se garder la légitimité toute faite d’en faire une suite un jour, Nausicaä de la Vallée du Vent est l’œuvre que je préfère d’Hayao Miyazaki, dommage que son adaptation en film d’animation ne soit pas plus ambitieuse.