C'est fou comme un beau morceau de la stature d'un Nausicaä peut au final me laisser froid et perplexe. La formule Miyazaki, je connais. Chat échaudé ne craint pas l'eau froide ; c'est à ce titre que j'ai su rester imperméable à la cascade de génie usée en pure perte sur le lecteur ingrat que je suis. Une affaire de ressenti, de subjectivité ? Non. Pas seulement en tout cas. D'autres, comme moi, grinceront des dents au détour de certains chapitres.
Certainement pas mauvais - loin s'en faut - Nausicaä est une petite délicatesse de gourmet aux relents parfois trop acides que j'ai encore du mal à digérer à ce jour.


De tous les lecteurs, même les plus acerbes - dont votre serviteur se revendique avec un sourire carnassier - exception faite des menteurs et affidés de la même race, il ne s'en trouvera pas un pour admonester légitimement le socle même où trône fièrement Nausicaä. Le piédestal sur lequel repose le manga papier de Miyazaki s'avère robuste et haut perché ; une base solide et inébranlable pensée et conçue par un architecte prudent et méthodique qui se refuse à l'erreur. L'univers sur lequel repose Nausicaä est à mon sens irréprochable de bout en bout. Envoûter, c'est aussi une affaire de contexte. Un hypnotiseur a plus facilement d'emprise au calme dans son cabinet que dehors au milieu de la foule ; pour nous ravir, Miyazaki sait poser le décor sans rien laisser au hasard.
Consciencieux. Je n'avais pas écrit ça d'un mangaka depuis si longtemps. Le travail d'un passionné, c'est d'autant plus beau que c'est rare. La passion, contrairement à bon nombre d'auteurs cauteleux et habiles, Hayao Miyazaki ne la simule pas par le trait afin que la forme ne dissimule l'absence de fond. Elle nous est révélée posément et sans éclat tapageur dans un cadre partagé entre le bucolique et le ténébreux.


Rien de tel que les bases d'un univers bien posé pour mettre son lecteur dans les meilleures dispositions qui soient. Fut-ce là la meilleure représentation d'un univers post-industriel qu'il m'ait été donné de contempler ? Les candidats se bousculent mais les compétiteurs font décidément pâle figure en comparaison. La conclusion d'impose d'elle même.
Tout est admirablement conçu, à commencer par la technologie employée. Les aéroplanes vol-au-vent, grenades tromboscopiques et autres ustensiles usinés précisément pour s'adapter à l'univers dépeint sont autant de merveilles alliant novation et réalisme qui contribueront à nous immerger davantage dans l'œuvre. Leur emploi en est si naturel qu'elle révèle d'autant mieux le caractère authentique de l'œuvre.
Chercher à nous impressionner ne figure pas à l'ordre des priorités de Miyazaki, il a vocation à nous déballer son univers sans jamais s'en remettre au tape-à-l'œil. La simplicité révélée dans le complexe, l'harmonie toute trouvée entre la technique et la nature pour aboutir à ce nouveau monde, y'a pas à dire... c'est du travail d'orfèvre. Je ne pense d'ailleurs pas me tromper en supputant que Masatoshi Usune s'en est judicieusement inspiré pour en garnir l'univers graphique de son Sunabozu.


Ce refus de céder aux sirènes aguicheuses de l'esbroufe retentissante se ressent jusqu'au choix de la mise en scène, pareille à ce que l'auteur nous offre dans ses films. Aucun plan n'est pensé de sorte à créer du sensationnel, à renforcer un quelconque sentiment, tout nous est livré au naturel. Certains pourront le déplorer, mais Nausicaä se laisse porter par des vents paisibles qui ne manqueront pas de la mener à destination sans jamais qu'une bourrasque impressionnante ne la fasse dévier. Le drame et la mort sont au tournant mais s'inscrivent dans une continuité sereine et logique ne s'en remettant en aucun cas à l'abracadabrant et le dramatisme bruyant.


Ne vous y trompez pas, en dépit de la douceur apparente qui transpire de l'œuvre par son ataraxie prononcée, c'est un monde impitoyable que se révèle à nous. La pureté des sentiments de sa protagoniste n'ôtera rien au taux de mortalité infantile galopant ou à l'hubris des dominants. Ce monde est beau mais ce monde se meurt. Quelle emprise avoir sur une telle chienlit lorsque l'on n'est qu'un flocon de neige dans une avalanche ? Un sentiment d'impuissance nous accompagnera alors que Nausicaä se jettera à corps perdu dans cette quête apparemment perdue d'avance.


L'histoire politique qui agitera les Hommes au milieu des préoccupations que sont les leurs à la veille de leur disparition est relativement bien pensée. Encore une fois, on retrouve cette disposition à produire du simple à partir du complexe. Je reprocherais toutefois à l'auteur de ne pas avoir doté les Empereurs de desseins clairs et assumés. Leurs motivations venaient à manquer sur la fin, notamment pour l'Empereur usurpateur Dork qui semblait finalement se complaire dans un rôle de méchant désabusé se riant du chaos qu'il produisait pour Dieu sait quelle raison.
Quoi qu'il en soit, l'amorce des considérations politiques est prenante et les nombreuses ramifications correctement traitées ne peuvent que ravir un sens de l'intrigue aiguisé et ce, bien que ces aléas politiques ne constituent pas en réalité le propos exclusif de Nausicaä. On brûle d'en savoir plus alors que l'on arpente les tomes remplis de dialogues pour une fois consistants.


Sans nécessairement pouvoir affirmer que les personnages soient très développés - on est loin d'un Shônen, rassurez-vous - ils sont en tous cas profonds et s'accordent à merveille avec la trame qu'ils sont amenés à servir. Cependant... pour avoir vu les films de Miyazaki, il faut admettre qu'on retrouve systématiquement les mêmes archétypes dans ses compositions. Ils sont certes agréables à voir en scène mais la fraîcheur de la nouveauté vient parfois à manquer.
Nonobstant ce détail, on retrouve beaucoup de portraits nuancés. Nuancés à compter de l'instant où les personnages en question seraient initialement des antagonistes. Il y a du bien dans le mal mais pas de mal dans le bien. Si le propos de l'auteur est sévère, son regard sur ses personnages aux comportements les plus répréhensibles reste globalement bienveillant.


Qui dit Miyazaki suppose un contenu à sensibilité écologique - intelligent toutefois. D'abord, on passe la première ; la moraline est de rigueur, mais rien de très présent. De quoi l'aborder serein. Seulement, il ne sera pas question de rouler en première tout le trajet et quand l'auteur embraye, les grincements de dents commence.


Les jérémiades de Nausicaä sur le sacrifice des Ômus forcent la thématique écologique au fond de la gorge du lecteur. Déjà que le goût n'est pas agréable pour tous, la voie par laquelle on nous l'administre a le don d'irriter. La protagoniste se bat la coulpe - associant à son sort le genre humain dans son intégralité - jusqu'à considérer l'espèce à laquelle elle appartient comme «une race maudite». L'écologie, je veux bien, d'autant que ça restait plutôt précurseur en 1982 ; mais pour ce qui est de l'attrition qui chemine vers la suggestion du suicide collectif, il faudra faire sans moi.


Ce constat établi, il m'apparaît maintenant plus clair que ce monde dépeint par Miyazaki ne se révélait vraisemblablement pas sous les mêmes lumières pour mon regard que celui de l'auteur. Là où lui s'inclinait vers la naïveté consistant à déceler l'Homme comme unique anomalie au milieu d'une nature pure et parfaite, j'appréhendais ladite nature pour ce qu'elle était vraiment. La nature est parfaite en ce sens où elle est juste, elle est juste car elle est logique et démontre cette logique de manière implacable et impitoyable.
Certaines belles-âmes auront beau présenter Gaïa drapée des plus belles parures qui soient, une éruption volcanique de son cru fera toujours plus de mal que tous les Diesels de l'univers. Des parasites, notre écosystème en compte à foison, si tant que le genre humain fut l'un d'eux, il est en tout cas le seul à conscientiser ses méfaits et chercher à les corriger. L**e paradigme de la gentille nature contre les vilains êtres humains, ça sortait peut-être de l'ordinaire quand Miyazaki écrivait son œuvre il y a quarante ans, mais il serait peut-être temps d'en revenir**. Toute cette belle histoire, en se dotant d'un propos politique, ternit au final ce que la fiction avait à nous offrir. L'art au service du politique se compromet souvent si ce n'est toujours. Y'a rien de plus chiant qu'un poème engagé. Même au nom d'une juste cause, l'art s'avilit au contact du militantisme. Au nom d'une cause, un roman devient un tract et une chanson un slogan.
Nausicaä continue malgré tout son envol gracieux ; elle aura néanmoins perdu quelques plumes au gré de ses pirouettes aériennes dispensables. Une approche plus subtile de son contenu écologique aurait été le bienvenu car, passer d'une conception saine de l'harmonie entre la technique et la nature pour finir en festival de Gaïa l'immaculée, ça fait tâche et ça part mal au lavage.


Peut-être Nausicaä est-il aussi trop long. Certains protagonistes introduits sur le tard n'ont une utilité que très relative et nous détournent du fil de l'intrigue. Je pense notamment à Selm et consorts ainsi que cette figure mystique éminemment dispensable qu'est le gardien du jardin de Shuwa. La magie Miyazaki s'est lentement effacée au profit d'une prestidigitation fétide. Cette dernière n'a eu guère d'effets sur moi puisque je voyais les grosses ficelles en coulisse.
Cela et quelques longueurs indues - notamment le coma de Nausicaä - rendent la lecture fastidieuse par endroits. Le manga retombera toutefois sur ses pattes avant de finalement se casser la gueule une fois la dernière page venue.


Se greffe à la moraline écologique quelques platitudes mielleuses, navrantes et surtout contestables telles que «Nous sommes tous pareils» ou le sempiternel «Ne faites pas la guerre». Si l'idée en bout de course et de passer pour un exposé philosophique estudiantin, à ce compte là, autant agrémenter le tout d'un «Ne tuez pas les bébés phoques» afin que le récital des lieux communs ne souffre d'aucune carence.
La naïveté infantile montrée en exemple, non merci, j'ai positivement trop d'esprit critique pour m'y abandonner béatement. L'ambition de Nausicaä se voulait adulte, son traitement fut immature bien que joliment enrobé.


Quant à la fin, elle n'a qu'un défaut, c'est celui de ne pas en être une.


Tout se bouscule très vite à la fin du dernier chapitre. La princesse arrive à la bourre, lâchant à Nausicaä un désinvolte «Désolé pour Yupa» mort en digne héros de la cause humaine. Nausicaä s'en fout presque. L'Empereur Tolmèque confie son territoire à sa fille qui elle, souhaite n'en être que régente - ce qui change tout - puis... comme un post-it laissé négligemment sur le frigo, Miyazaki nous brode une dizaine de lignes de narration pour nous apprendre Nausicaä est restée chez les Dorks. Fin.


Ça a traîné en longueur tout en trouvant moyen de conclure avec au bas mot deux chapitres déficitaires. Trop habitué aux épilogues déplorables de mangas, je ressors de la lecture de Nausicaä d'autant plus furieux que sa qualité lui imposait d'être exemplaire jusqu'à la fin. Le nom Miyazaki plus que l'œuvre en elle-même justifie à mon avis que la composition soit la mieux notée du top 100 manga SensCritique. L'émerveillement du plus grand nombre les empêche de voir les carences de Nausicaä, mais pour un cynique comme moi chez qui ce genre mystification n'a pas ses accès, le constat final dresse un portrait en demi-teinte.


Lecture achevée, je préfère dissocier le contenu apparent du contenu induit. Les prétentions de l'œuvre à nous délivrer une morale rutilante et - même présentée sous son meilleur jour - toute faite , étouffent et nuisent à la l'intrigue de fiction mise à portée de notre regard. Vous serez séduit pas son univers, son histoire et ses personnages. Cet églogue résonne comme le plus beau des poèmes davantage en raison de ses rimes et allitérations que du sujet de fond. De Miyazaki, je répudie le Nausicaä politique pour n'en retenir que le Nausicaä artistique. Même au service du plus noble des propos une toile de maître perd de sa superbe. Les traits auront beau être d'une extrême précision, les couleurs miroitantes, ce que tout cela recouvre finira toujours par être déformé, parfois au point de rendre le tout immonde. Nausicaä elle, reste magnifique ; mais sa pureté originelle n'est plus, discréditant alors considérablement sa valeur en tant que pièce majeure du monde de l'édition manga..

Josselin-B
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le 21 avr. 2020

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Josselin Bigaut

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