Adapter un manga en anime, c'est un parcours classique pour peu que le support originel ait un certain succès. Transvaser le processus afin de condenser une série animée originale pour la borner aux pages d'un manga, ça peut se faire ; il y a eu des précédents. L'affaire n'est cependant pas des plus recommandables.
Passer du papier - média que je privilégie habituellement - à l'animation, sans nécessairement impliquer une embellie suggère en tout cas une plus-value. De fait, l'animation propose ce que ne peut se permettre le papier, à savoir une bande son à sa mesure et la fluidité des actions. Cela se fait très généralement au détriment de l'atmosphère du matériau d'origine que seul l'auteur saurait resituer. Une imitation de Van Gogh ne sera jamais un Van Gogh ; l'animation n'est un média noble qu'à condition qu'il impulse sa propre dynamique, qu'il soit une œuvre originale. À ce titre, Néon Genesis Evangelion était un anime de qualité là où la plupart des adaptations animées de manga - à quelques exceptions près - sont simplement employées à la seule fin de toucher un plus large public.
Nous offrir cette fois le même plat sans sauce et sans garniture ne pouvait que me laisser sur ma faim. Et c'est peu dire. S'il y a bien des choses que j'étais prêt à pardonner à Neon Genesis Evangelion l'anime, je ne pouvais ici lui accorder la moindre rédemption. Car entre nous soit dit, le visionnage de NGE se considérait avant tout parce que Gainax avait purement et simplement révolutionné l'animation. Ôtez-ça et la musique qui donnait corps à l'intensité, il reste du verre pilé à devoir mâcher.
Autant les phases de combat que les instants de quiétude paisible du quotidien n'auront su être resitués avec le même brio que ne put le faire l'animation. La version animée avait un rythme, une pesanteur, une atmosphère qu'il fut ici impossible de répliquer. Que Yoshiyuki Sadamoto fut le concepteur graphique des personnages de l'anime ne contribuera en rien à rendre la pilule plus savoureuse. Avant même de commencer, Neon Genesis Evangelion le manga était voué à la tiédeur.
Néanmoins, une œuvre, fut-elle une reproduction, se doit d'être analysée pour ce qu'elle est, nonobstant ce qu'elle cherche à imiter. Il convient par conséquent de critiquer ici le manga pour ce qu'il est et non pas pour ce qu'il apparaît au regard de ce qu'il adapte.
Neon Genesis Evangelion. Titre dont la traduction littérale signifie en français «L'Évangile du Nouveau Siècle». Quand je dis qu'il ne faut pas mettre la sainte Bible entre les mains de Japonais, c'est à dessein.
Bien que ma remarque se veuille drolatique, il y a véritablement de quoi soupirer. Les premières pages n'ont pas encore été portées à notre regard que nous sommes déjà en plein m'as-tu-vu. Toute la mégalomanie de l'ensemble est contenue en un titre. De la Bible, les auteurs n'en auront pourtant retiré que quelques noms à l'envolée afin de justifier le verni pseudo-mystico-religieux qui, au final, n'aboutira à aucune finalité concrète. Une pure démarche de poseur se parant de prétentions qui ne sauraient être assumées.
Shinji Ikari. Voilà un protagoniste de manga/anime qui n'aura pas laissé indifférent. Aussi bien haï par une partie des fans que choyé par la seconde, le personnage a au moins une dimension. Moi-même je suis ressorti partagé à l'issue de ma lecture le concernant. J'apprécie immodérément le principe d'un personnage principal qui ne soit pas un héros flamboyant et brave. Shinji est lâche, il a peur et se lamente perpétuellement. Agaçant, certes, mais d'une crédibilité et un réalisme remarquable. Quel garçon de son âge partirait la fleur au fusil affronter des créatures géantes capables de mettre l'humanité en péril ? Si l'on ajoute à ça un père figurativement absent dont il recherche l'attention pour ne récolter que son indifférence, ce protagoniste a réellement beaucoup de choses à nous offrir de par ses introspections inspirées par ses tourments qui, eux, sont bien réels. Shinji est une feuille morte ballottée au gré de vents violents engendrés par une tempête sur laquelle il n'a aucune emprise. Il est pathétique au sens le plus noble que recouvre le terme.
Le personnage me plaît dans son principe, mais il est parfois - et même trop souvent - ce petit garçon geignard et capricieux à qui on meurt d'envie d'administrer des baffes à raison de treize à la douzaine.
«Monte dans le robot»
«Je veux pas monter dans le robooooot~»
«Allez !»
«Bon, d'accord»
[Deux jours plus tard]
«Je veux plus monter dans le robot !»
[Quinze minutes plus tard]
«En fait je veux revenir»
Par trois fois il cherchera à abandonner pour revenir dans la foulée. Qu'il souffre, qu'il se lamente, ce n'est que la conséquence logique de ce fardeau si lourd à porter que la N.E.R.V lui aura jeté sur les épaules sans prévenir, mais qu'il se fasse à l'idée de son rôle et arrête d'hésiter à chaque instant. Tout génial qu'il puisse être dans les fondamentaux de sa conception psychologique, le rendu laisse parfois à désirer tant son martyr vire à la jérémiade.
Sans vouer Shinji aux gémonies, force est de constater qu'il n'est qu'une bonne idée mal aboutie. Les thématiques qui l'entourent sont rarement abordées dans un Shônen, complexes, matures mais très mal traitées.
Ceux-là qui parsèmeront les couloirs métalliques et glaciaux de la N.E.R.V seront corrects sans plus. Des personnages juste assez notoires pour agrémenter le peu que le trame a à offrir. Je n'ai d'ailleurs jamais saisi l'engouement que pouvait suggérer Rei auprès de la communauté des fans. J'aurais en tout cas apprécié la mort du personnage de Toji. Inattendue, injuste et belle précisément pour ces raisons.
Certains protagonistes sont de trop ; Kaji, Ritsuko et Fuyutsuki auront en tout cas failli à me prouver leur utilité dans cette trame noueuse avec laquelle j'ai manqué de m'étrangler plus d'une fois.
À supposer que j'analyse l'intrigue du manga d'un œil neuf et indépendamment du fait que je sache sur quoi va déboucher son issue, j'en dirais qu'elle est simple et efficace dans son postulat de départ. On est très vite dans le bain ; l'instant critique est immédiat. Mais passé le premier ange, le reste est cousu de fil blanc. Chaque nouvel antagoniste - dont l'origine restera peu claire ou en tout cas décevante - sera simplement un prétexte à déployer les EVAs. Un plaisir de fin gourmet quand l'animation s'en mêle mais une formalité insipide lorsqu'il nous faut nous contenter des dessins seulement. Sans doute est-ce pour cette raison que l'auteur aura choisi de purger nombre de combats contre les Anges qui figuraient au répertoire de la version animée. Ce fut sage et avisé de sa part.
On retrouve des dessins fidèles aux conceptions graphiques qu'avait à nous proposer la version animée. Malgré cela, le contenu est fade. La passion, l'affliction, la violence, tout cela est terne et leur expression excessivement modérée dans le trait. Ça manque de vie et de dynamisme. La musique et l'animation permettaient de dissimuler cette tare évidente mais il n'y a ici rien pour contribuer à combler le manque.
Au final, aucune des affaires entourant les combats contre les Anges n'aboutissent à la moindre résolution de quoi que ce soit. Et ce, qu'il s'agisse de la relation de Shinji à son père ou autre chose d'intelligible. Car à partir de l'introduction d'Adam, le livre de la Genèse selon Gainax commence à avoir un sérieux plomb dans l'aile pour ce qui est de la crédibilité. C'est à à compter de cet instant que la déferlante prétentieuse et surtout imbitable d'Evangelion s'abat sur nous comme la mousson.
La SEELE serait un gouvernement secret qui dirigerait le monde depuis des milliers d'années (rien que ça), il serait question d'une prophétie aux éléments empruntés de la Bible (pour les noms seulement, parce que ça fait «mystique cool»), des expériences secrètes, des clones... le festival des poncifs est à l'œuvre, mais en infiniment plus pompeux et alambiqué pour qu'au final la montagne accouche d'une souris. C'est le petit plus Neon Genesis Evangelion.
Il n'y a plus d'enjeu dès lors où il n'y a plus grand chose à comprendre. Les scénaristes ne savaient visiblement pas où ils allaient en empruntant ces pistes douteuses. Cela tombe rudement bien, nous n'irons justement nulle part et arriverons à destination sans encombre.
La conclusion de l'Évangile du Nouveau Siècle (sic) ? Une branlette pseudo-philosophique au milieu d'un maelstrom de révélations inconséquentes qui ne savent pas faire sens. Quand le récit en est à inclure la notion spirituelle de «soupe primordiale» au milieu des symboles religieux jetés ici et là sans finalité aucune, c'est qu'il est plus que grand temps d'arrêter de causer mystique.
N'est pas Saint Thomas d'Aquin qui veut. Pour peu que je sois un fervent croyant comme pourrait le laisser entendre mon nom de famille, il y aurait de quoi crier au blasphème. Une œuvre pareille, c'est à se demander s'il ne faudrait pas frapper la Bible de droits d'auteur afin d'éviter qu'on en fasse n'importe quoi. À terme, le livre sera bientôt aussi souillé que la licence Star Wars.
Et tout ça pour quoi ma bonne dame ? Mais pour un déballage en bonne et due forme des bons sentiments Shônen classiques.
«Continue de vivre». Quatorze volumes, des réflexions faussement pédantes et on nous récompense à l'arrivée d'une platitude que même l'instinct de survie du plus insignifiant mammifère a incorporé dès sa naissance. Ça parle pour parler, on meuble pour cacher que l'on n'a au final absolument rien à dire.
Neon Genesis Evangelion est un bon anime de méchas qui se donne de grands airs. On lui pardonne son arrogance au regard de la qualité orgasmique des animations de combat. Transposé en un bête Shônen, dépourvu de ses plus beaux apparats et privé de tout artifice pour donner le change, son adaptation manga n'est au final plus que le script de la version animée sans enrobage aucun. En d'autres mots, une composition milieu de gamme qui pète plus haut que son cul. Et en direction de notre visage qui plus est.
Je ne saisis pas la pertinence de ce manga qui aura mis près de quinze ans à s'écrire. De Neon Genesis Evangelion, la postérité ne retiendra que son support originel : c'est fatal au vu de ce qu'il a à offrir et que rien ne saurait supplanter. Le manga fut-il doté d'un scénario plus raisonnable que cela n'aurait rien changé à l'affaire. Qu'un néophyte s'initie à Evangelion par le manga le vaccinera à jamais contre la version animée qu'il pensera issue du même tonneau.
Yoshiyuki Sadamoto n'aura au final contribué qu'à confectionner un produit répulsif contre une version animée sur laquelle il s'était savamment impliqué auparavant. Neon Genesis Evangelion le manga n'est pas seulement un Shônen dispensable : c'est une œuvre nuisible.
Quitte à prêcher «l'Évangile du Nouveau Siècle» auprès des âmes égarées, privilégiez toujours sa version animée. La simple lecture du manga devrait en principe vous en convaincre.