Walking Dead n’est pas encore une série télévisuelle à succès, mais ses aventures en papier se vendent comme des petits pains.


Shawn of the Dead est un succès critique et public, toute une série d’imitateurs vont suivre.


George A. Romero poursuit sa Saga des Zombies.


Dans la première décennie de cet inquiétant nouveau millénaire, les morts-vivants se lèvent à nouveau de leurs tombes, prêts à dévorer ce qui leur passe sous la dent tandis que les producteurs et les éditeurs se frottent les mains ; la chair putride rapporte.


Dès lors, remixer le classique de la littérature Orgueils et Préjugés avec des zombies semble être une décision commerciale un peu facile, profitant de cet engouement. Il aurait été bien impossible de marier ces deux univers aussi différents. Mais l’ouvrage de Seth Grahame-Smith, sorti en 2009, est une petite réussite, acclamée un peu partout et traduit en France. Il aura même droit à un jeu vidéo ainsi que son film en 2016. Et bien sûr cette adaptation en BD qui est le sujet de cette critique.


Cette version BD n’en est pas moins assez fascinante. Les intentions de Seth Grahame-Smith sont conservées, ce qui a fait le succès de son détournement est sa fidélité au roman, les grandes lignes sont conservées, les personnalités des personnages sont les mêmes et les thèmes restent identiques. Le néophyte de l’univers de Jane Austen fera lui la rencontre de la famille Bennett, son père à l’humour cinglant, sa mère qui rêve de mariages et d’une meilleure intégration sociale et leurs cinq filles, aux caractères bien différents, dont l’indépendante Elizabeth. Un beau foyer uni dans la petite bourgeoisie anglaise et campagnarde du XIXe siècle. L’arrivée d’un nouveau voisin, le séduisant Mr Bingley, va rebattre les cartes. Il ne vient pas seul, son ami l’accompagne. Le beau mais orgueilleux Darcy qui va chercher à se rapprocher d’Elizabeth.


Leur rencontre et ses conséquences tumultueuses reste un régal, leurs personnalités fortes et indépendantes ne facilitant pas un quelconque rapprochement, tandis que les manigances des uns et des autres, entre médisances, mensonges et manipulations ne jouent pas en leurs faveurs, ni même sur celles de la famille Bennett, un peu malmenée par certains événements mais toujours droite et unie. Ce jeu des relations est toujours aussi fourni, les personnages sont nombreux, liés et reliés entre eux entre le lien du sang ou d’autres obligations. Il est parfois difficile de tout suivre dans cette bande-dessinée qui condense un épais roman, mais leurs entremêlements fascinent. Malgré le carcan de leurs statuts, un rien peut tout changer, le petit grain de sable dans le corset de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie anglaise.


Ce qui faisait le sens du roman de Jane Austen n’est pas oublié, il s’agit encore et toujours d’une peinture de la bonne société anglaise victorienne, de la rigidité de ses conventions sociales, et bien sûr de son orgueil et de ses préjugés. Le thème du mariage est omniprésent, le père n’est guère pressé, la mère plus diligente, et son idée acceptée par les sœurs, bien qu’Elizabeth ne soit pas parmi les plus concernées par l’envie. Car dans cette société où la réputation fait tout, où les bonnes relations sont recherchées et cultivées, le mariage peut offrir beaucoup, mais il peut aussi créer de la disgrâce, tout dépend de l’union, du bon mari ou du margoulin en scène. Et cette version ne l’oublie pas.


Mais les personnages doivent aussi faire face à une invasion de zombies présente depuis une cinquantaine d’années. Elle a évidemment une influence sur le sort de certains personnages, tandis que d’autres ont été affinés en prenant en compte cette idée. Dans cet environnement zombifié, l’entraînement aux armes est une évidence, mais tout le monde n’a pas les mêmes atouts. Les sœurs Bennett ont ainsi de nouvelles qualités à leur trousseau, ce sont de redoutables guerrières, envoyées s’entraîner en Chine, revenues redoutables. Elizabeth est la meilleure d’entre elle, la plus impliquée et si elle a gardé ses bonnes manières et ses conversations toutes en mesure, elle n’hésite pas à sortir le sabre si besoin pour trancher dans le lard rassi du zombie. Sa relation compliquée avec Darcy s’en retrouve développée, car tous deux maîtrisent les armes, leur offrant un possible mais fragile terrain d’entente. Il faudra se battre non plus contre les préjugés mais aussi contre une société anglaise rassie et cadavéreuse.


La bande-dessinée est bavarde, on ressent bien que cette adaptation est littéraire, mais l’écriture est conservée, ce ton très XIXième siècle avec une grande ironie dissimulée sous de belles paroles mais aussi ces persiflages et ces jugements hâtifs. La traduction de Julien Nenault n’enlève rien de cet esprit, tant mieux, malgré les zombies, malgré les sabres et même quelques ninjas, le lecteur reste dans un XIXe siècle très littéraire, dans son vocabulaire et ses tournures de phrase.


Pour autant, cette version si elle ne sacrifie pas aux nombreux dialogues lourds de sens, quelques incartades zombies permettront de sortir le fer. Il faudra se battre, au sens propre. Mais puisque ce contexte de film d’horreur est parfaitement intégré dans les conversations et dans cet univers, cela ne choque en rien, et cela permet notamment à Elizabeth de se défouler hors de ce carcan des bonnes manières et des intentions hypocrites des uns et des autres.


Ces scènes plus violentes, avec un peu de viscères et de zombies qui grimacent, sont croquées, comme les autres par Cliff Richards, assez peu connu mais vraiment talentueux. Ses portraits sont assez réalistes, avec une légère pointe de stylisation pour les rendre plus graciles, probablement d’après des modèles. Malgré les contenances de chaque personnage, ils sont pourtant assez expressifs, avec Elizabeth et sa douce malice au centre. Le décor et les costumes sont croqués avec fidélité, mais sans grande emphase. La composition est soignée, multipliant les angles sans jamais céder à la confusion, le tout est lisible et entraînant.


C’est une belle réussite visuelle, et elle aurait été plus grande si cette adaptation dessinée n’avait pas choisi deux angles qui lui portent malheureusement préjudices. Des couleurs choisies avec soin auraient offerts à ce monde un peu plus d’humanité. Mais ce noir et blanc est aussi visible car le trait est proposé sans encrage par dessus. Peut-être s’agit-il de ne pas gâcher le trait fin de Cliff Richards par une mauvaise colorisation et un encrage non adapté, mais la raison est peut-être plus commerciale, pour une histoire de délais, car on sent aussi vers la fin de l’ouvrage une moins grande attention sur le dessin, qui se présente plus crayonné que finalisé. L’ouvrage est sorti un an après le roman, cela reste assez court à la vue des 176 pages de l’ouvrage.


Il y a évidemment de très belles bandes dessinées en noir et blanc, mais ici la nuance de teintes entre le noir et le blanc n’est pas vraiment exploitée. Ces pages sont réussies, mais elles ne semblent pas être mises en valeur au mieux, en l’absence d’un encrage pour en dessiner les contours et éliminer quelques traits hâtifs et d’une colorisation qui aurait offert un peu plus de vie à cet univers mais aussi de profondeur dans les pages. Même si le travail fourni est impressionnant, il faut le rappeler, il lui manque un meilleur écrin.


Ne boudons pas notre plaisir, cette adaptation est loin de n’être qu’une aimable curiosité, d’un mélange improbable ou d’une intention commerciale maladroite. Orgueil et Préjugés et Zombies est une relecture amusante, fidèle et pertinente, qui fera sourire les amateurs du roman de Jane Austen mais plongera les passionnés de zombie dans une histoire solide aux nombreux personnages et qui se lit comme un feuilleton. Avec un peu plus de cervelles mortes.

SimplySmackkk
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le 21 oct. 2021

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