Autant crever l'abcès : je suis un crocodile. Quand je me ballade en rue, je regarde les femmes qui se présentent à moi. De la même manière qu'on regarde la viande dans une boucherie. Ou plutôt de la même manière que je regarde les desserts dans le rayon pâtisserie ; toutes ces bonnes choses auxquelles je ne peux céder et que je me contente donc de dévorer des yeux (ça bourre déjà bien). Je ne consomme pas ; je n'aborde donc pas ces dames, je me 'contente' de les regarder de la tête aux pieds. Les cheveux, le visage, le cou, les seins, le ventre, les jambes, le dos, les fesses. J'analyse. Je critique aussi.
Ce matin par exemple, j'ai croisé une jeune maman qui promenait son enfant. Un gros cul, des seins bien fournis sans être gros, un peu de bide et le beau visage radieux d'une jeune maman comblée. Plus tard, j'en croise une autre que je trouve belle, mais dont les fesses me semblent un peu plates, malgré des hanches larges et de belles jambes dodues ; ça casse un peu l'harmonie de son corps qui méritait d'être plus pulpeux à ce niveau là. Je pense que mon regard a dû en ennuyer plus d'une. D'autres ont l'air de s'en ficher complètement. Comment savoir ? En tous cas je ne les aborde jamais, ça c'est sûr.
Le pire que j'aie fait, c'est de les suivre un peu. C'est rien ça, non ? Si ? Ha. J'ai cette technique que j'appelle "follow the ass" : je suis une fille qui a un cul qui me plaît jusqu'à en croiser une autre que je suis alors à son tour et ainsi de suite. Je ne les suis pas très longtemps. Cela me fait faire des petits bouts de chemin inconnus. Mais bon, là je ne le fais plus souvent ; je le faisais surtout quand j'étais à Bruxelles car il y a des endroits toujours remplis de monde. En revanche, je n'ai jamais arrêté de regarder les femmes. Au grand dam de ma copine car, il faut bien l'avouer, un mec qui matte est, contrairement à ce qu'il pense sur le moment, rarement discret, quelle que soit la méthode employée (peut-être les petites copines ont-elles un radar spécial anti-pervers?).
Ce projet me semble un peu inconfortable à juger. Le fait est, le message a pris le pas sur tout le reste dans cette bande dessinée. Ce qui peut donner l'impression que si on n'aime pas cette BD, c'est qu'on n'adhère pas au propos. Tout ça parce qu'il n'y a rien d'autre que le propos dans cette BD. D'ailleurs l'auteur devait être dans une bien curieuse situation. Imaginez. Il reçoit plein de témoignages. Forcément certaines situations sont similaires à d'autres qu'il a déjà racontées. Ou sont moins 'vendeuses' que d'autres. "Projet crocodiles" reste un bouquin à vendre, même si à la base c'était un blog, avec des histoires qui doivent captiver le lecteur, lui donner envie de tourner les pages ou de passer à la caisse. Donc forcément, l'auteur va devoir choisir, refuser certaines situations pas assez bonnes, privilégier les plus spectaculaires. Imaginez-vous qu'un auteur vous dise, après que vous lui ayez raconté quelque chose d'aussi intime, que votre histoire ne le satisfait pas, que ça ne va pas assez loin pour qu'il ait envie de la dessiner tout ça parce qu'il a déjà réalisé une histoire similaire. Cela en met un coup. Une agression sexuelle, ce n'est jamais rien. Mais un bouquin oui, ça peut l'être. Enfin, moi c'est ce que je pense. On peut parler de choses honorables et pourtant réaliser une œuvre ratée, qui ne vaut pas le coup.
Et pour moi "Projet Crocodiles" ne vaut pas le coup. Cela commence gentiment, on sent que l'auteur n'a pas encore vraiment ses marques, même si son concept semble avoir été défini assez vite. Puis ça va plutôt bien, quelques histoire sympas émergent. Mais très vite, le sentiment de tourner en rond surgit. Et c'est là que ça fait mal : j'ai trouvé certaines histoires complètement inutiles. Non pas que je veuille diminuer ces fameuses agressions, mais juste que c'est mal raconté ou que ce qui est raconté a déjà été dit plus tôt. Cela devient vraiment problématique lorsque l'auteur choisit d'illustrer des articles (les conseils) ; il n'y a même plus de narration, plus rien, juste une très pauvre mise en image de ce qui est écrit. C'est lourd, parfois pas très bien synthétisé en plus, et donc brouillon. Et on s'emmerde. Je n'ai rien contre de la BD didactique, mais ici on passe de l'un à l'autre sans crier gare. Ce n'est pas structuré. Et sur la fin, je constate même que l'auteur laisse tomber son concept de crocodiles pour y amener des lapinous ; on ne sort pas vraiment du sujet, mais ce n'est plus vraiment le projet crocodile. C'est comme si les dernières minutes d'un Indiana Jones nous confrontaient à des extra-terrestre venus de nulle-part. Clairement, l'auteur ne maîtrise plus sa narration, il se contente d'être vindicatif. C'est devenu de la propagande en fait.
Ceci dit, certaines œuvres de propagande ont un intérêt plastique. Ou narratif. Pas beaucoup de narration ici, certaines histoires sont même carrément chiantes à lire parce qu'il n'y a pas de recherche de personnages, que certaines situations paraissent trop superficiellement abordées. Pas d'intérêt plastique non plus parce que c'est tout de même pauvre graphiquement. Enfin, le côté minimaliste est intéressant, mais certains dessins sont un peu bâclés (position des mains pas terribles par exemple, ou position des corps par rapport à la 'caméra').
Le découpage est parfois un peu maladroit ; on comprend l'action, c'est déjà ça, mais elle n'est pas vraiment bien mise en scène, c'est un peu plat. La mise en page est parfois un peu trop serrée ; je veux dire par là que les dessins sont mis les uns sur les autres et que les 'cases' auraient bien besoin de respirer un peu. Sinon le coup de crayon mêlé à la couleurs ordi minimaliste fonctionne plutôt bien en général. Les tronches sont plutôt expressives et rendent parfois efficace un gag moins drôle.
Parce qu'il y a tout de même des moments où j'ai poussé un petit rire ('hin'). Jamais très gros. Y a aussi des moments où je me suis dit : 'ho la vache'. Mais en fait c'est assez nul. Je suis désolé de dire ça les filles, mais quand vous vous faites violer, faut que vous y mettiez du vôtre si vous voulez qu'on l'adapte au cinéma ou en BD. Faites vous arracher les vêtements, débrouillez-vous pour qu'il y ait des nains cul de jattes qui s'en mêlent. Blague à part, c'est un peu triste à dire, mais j'ai trouvé tout cela assez plat et peu intéressant, rendant assez peu justice à ce que vivent les demoiselles au quotidien. En fait, l'auteur se cache derrière la facilité de l'histoire vraie. C'est d'ailleurs ce qui empêche les envolées narratives je pense, parce que certaines histoires sont vraiment juste une retranscription des faits sans réel engagement artistique au-delà du concept et du fait que ce soit dessiné. Je me suis donc emmerdé. Un peu comme devant "BlackFish". Oui c'est horrible la manière dont on traite ces animaux, je suis bien d'accord, mais voilà, le docu est quand même assez mal branlé. Et franchement, je recommande plutôt le projet de Riad Sattouf, "La vie secrète des jeunes", qui est certainement moins engagé, mais tellement plus radical et percutant, parce que le mec il y va à fond et joue vachement mieux de la mise en scène.
Petit détail qui frustre aussi, c'est le manque de soin apporté à l'orthographe. Ce n'est pas grand chose mais quand même... Bon, j'imagine que dans la BD, un correcteur est passé par là.
Niveau du message, je ne me suis pas trop pris la tête. Imaginer tous les mecs comme des crocos ne me pose aucun problème, je pense que ça retranscrit bien l'angoisse des femmes justement, car elles ne savent jamais qui est réellement en face d'elles. C'est d'ailleurs dommage que sur la fin certains visages humains apparaissent chez les mecs. L'auteur ne se contente pas seulement de dévaloriser le mec, parfois ce sont les nanas qui sont les 'méchantes'.
Bref, je reste assez mitigé par ce projet. C'est correct, y a des situations 'sympas' narrativement parlant, mais le tout est finalement assez convenu, plat. C'est tellement vindicatif que je n'ai plus vraiment ressenti une réelle conviction, j'ai juste l'impression que l'auteur s'est laissé dépasser par son projet. Ce qui est sûr c'est que c'est souvent mal raconté et le dessin est inégal. Dommage. Mais rassurez-vous, en bon crocodile que je suis, je vais sortir prendre l'air, voir quelques jolis culs et j'aurai déjà tout oublié de ce projet.