Humbles Français que nous sommes, nous avons fait la connaissance de Derf Backderf avec Mon ami Dahmer. L'auteur avait passé une partie de sa scolarité avec Jeffrey Dahmer, qui allait devenir un des plus sinistres serial-killers des États-Unis. C'est une excellente BD qui a su convaincre le public et la critique, malgré un trait assez surprenant.
Mais la France a aimé, et en a redemandé. Son premier graphic novel a donc été localisé. Punk rock et mobile homes ne s'interroge pas sur la genèse d'un homme dérangé avant le point de non-retour, mais les points de comparaison entre les deux œuvres sont intéressants. Il n'y a pas la même ambition de redessiner une époque de la vie de l'auteur, mais on retrouve cette volonté de recréer un contexte, celui des années 1980, du punk, de la provocation.
Dahmer était un adolescent malade, dans un contexte où personne n'a su l'aider. Punk rock & mobile home centre son histoire une nouvelle fois sur celle d'un personnage, Otto, auto-proclamé le Baron. Nerd à une époque où cela n'était pas encore bien vu, il subit quelques brimades mais ne s'apitoie pas, et dévoile une force de caractère grandiloquente mais rapidement attachante. Comme Dahmer, il est confronté à un contexte difficile, qu'il va surmonter d'une autre manière, bien plus glorieuse. Personnage fantasque, il est d'une grande clairvoyance sur la culture musicale de son époque, qui voit l'arrivée du punk rock ou de genres expérimentaux. Au point de travailler pour un club, et de rencontrer différentes personnalités musicales. C'est tout l'intérêt de cette BD de nous présenter Otto comme à ses camarades pour mieux s'en moquer avant de comprendre toute la richesse du personnage du Baron.
Comme à son habitude, Backderf se sert de son trait gras, de ses perspectives écrasées, des proportions peu académiques. Les amateurs d'illustrés francobelges à l'esthétique classique ou de comics traditionnels seront désarçonnés, mais probablement progressivement conquis. C'est même un peu plus brut que Mon ami Dahmer, et avouons-le, finalement assez punk dans l'esprit, ce qui colle très bien au sujet.
Le lecteur plonge une nouvelle fois dans une Amérique un peu délaissée, celle des petites villes, et des gens cabossés qui y vivent. C'est un contexte que l'auteur connaît bien, qu'il restitue parfaitement dans l'attraction/répulsion qu'il a pu lui-même ressentir, de même que des millions d'Américains ou même d'autres nationalités. Dans cet ouvrage, il y ajoute un univers musical détonnant, qui ne peut que remuer la boue de ces régions, aidé en cela par la personnalité du Baron.
Rock n'fun, tous les ingrédients sont réunis pour une BD qui a l'intensité et la personnalité d'un bon morceau bien pêchu.