On se souvient de "Yesterday" (le film, hein ! Pas la chanson, inoubliable, elle…) la saisissante uchronie de Danny Boyle qui imaginait un monde où les Beatles n’existeraient pas. La plus belle uchronie, pour la vaste majorité d’entre nous, amoureux de Musique, serait un monde où les Beatles ne se seraient pas séparés, ou tout au moins où ils se seraient vite reformés. Où John et Paul se seraient réconciliés, et où, en poussant le bouchon un peu plus loin, comme le font Hervé Bourhis et Julien Solé dans leur réjouissant "Retour à Liverpool", Yoko et Linda auraient monté ensemble un duo féminin qui aurait raflé tous les suffrages…
A rebours du film de Boyle, définitivement trop sucré, "Retour à Liverpool" nous propose un trip beaucoup plus « acide » (et ce n’est pas une référence à la drogue…), tout aussi drôle sans doute, mais aussi bien plus inconfortable… Un retour en 1980, ou plutôt une année 1980 « alternative » si l’on se souvient que la « véritable » année fut celle de tous les désastres pour les Beatles : Paul arrêté au Japon et jeté en prison pour possession de drogues, comme un vulgaire Keith Richard ; Ringo victime d’un grave accident de voiture alors qu’il conduisait complètement bourré ; John souffrant d’une séparation passagère avec Yoko, et puis, et ça on ne l’oubliera jamais, assassiné peu de temps après ses retrouvailles avec elle, devant son domicile.
Bourhis et Solé nous offrent, grâce à un passage de John (à la barre d’un voilier, si, si, cette partie de l’histoire serait vraie !) par le Triangle des Bermudes, une autre réalité, qui va voir une sorte de reformation des Beatles, contre leur gré, et pour le moins chaotique, une renaissance sinon de l’amitié, du moins de la complicité musicale entre John – le véritable héros du livre, furieusement caractériel, égocentrique, agaçant, ridicule la plupart du temps, donc très attachant – et Paul, et puis l’épiphanie d’un nouvel enregistrement dans les légendaires studios d’Abbey Road, en passant par un pèlerinage passablement déprimant par Liverpool.
Sinon, "Retour à Liverpool" nous parle des Monthy Python, à qui il arrivera des bricoles, et nous montre des punks à crète se moquant du look hippie des ex-Fab Four. Surtout, il ne nous cache pas que les eighties appartiennent désormais aux gothiques et à Robert Smith, et que même les Beatles peuvent – ou tout au moins auraient pu – devenir un jour has been. Ce qui fait que, entre deux rires devant l’imagination d’une histoire qui préfère rire de la peur de vieillir, c’est bien notre amour pour les quatre (vieux) garçons dans le vent qui ressurgit, comme en contrebande.
Et lorsque "Retour à Liverpool" se referme, conjuguant joliment logique et tragédie, il nous laisse comme avec une drôle de nostalgie, qui s’apparente à une vraie gueule de bois : c’est que… il arrive toujours un moment où il faut… lâcher prise (let it be !).
PS : Nous n’avons parlé du dessin de Julien Solé – star de Fluide Glacial, et fils de l’immense Jean – qui, et c’est un exploit, réussit à recréer quatre Beatles crédibles, dans un décor à la fois drôlement réaliste et furieusement psychédélique : il est époustouflant.
[Critique écrite en 2021]
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