Un génie du mal derrière le rideau de fer d'une Allemagne totalitaire

- Je vous prends votre reine, Albrecht...
- Oh, je... vous m'avez distrait !... Pardon, B., je voulais dire que mon attention a été détourné par...
- Il faut toujours détourner l'attention de l'adversaire. À n'importe quel jeu ! Toutes les parties sont importantes !... À vous de jouer !... Ne me décevez plus, mon petit !...

Que le chat croque la souris !

Jusqu'à présent, la saga Ric Hochet s'est appuyée sur un héros charismatique, incarnant parfaitement le rôle du vaillant journaliste, mais elle souffrait du manque d'un adversaire à la hauteur, tout aussi emblématique et charismatique. Bien sûr, des adversaires coriaces comme Caméléon, apparus à deux reprises dans "Signé Caméléon" et "L'Ombre du Caméléon", ainsi que Bex Turner dans "Défi à Ric Hochet" et "Rapt sur le France", étaient convaincants, mais ils manquaient d'une présence marquante, d'un design accrocheur, d'un esprit machiavélique et d'une aura démoniaque. C'est précisément ce que le tome 14 des aventures de Ric Hochet, intitulé "Ric Hochet contre le Bourreau", apporte à la saga. Il présente un antagoniste qui deviendra récurrent, s'imposant comme l'un des méchants les plus mémorables de la série, il s'agit du "Bourreau". Le Bourreau, alias "B", se présente comme un criminel de grande envergure, délicieusement malfaisant. Il incarne le grand vilain à l'état pur. En tant qu'homme de pouvoir, il exerce son influence au sein d'une nation totalitaire dont il est le chef des services secrets. Doté d'une personnalité cruelle et sadique, agrémentée d'une touche de névrose, cet antagoniste jouit d'une intelligence exceptionnelle. Un génie du mal. Tel un joueur d'échecs impitoyable, il déplace ses pièces avec méticulosité, sans la moindre pitié, toujours un coup d'avance. Au-delà de ses responsabilités envers son régime totalitaire, le Bourreau est animé par une soiffe de vengeance qui le pousse à se tourner contre la France. Cette vendetta remonte à la Seconde Guerre mondiale, où, probablement en tant que nazi, il fut gravement blessé à la tête et laissé pour mort par le général français Val.



Une blessure atroce laissant une cicatrice béante sur son crâne et une douleur constante l'empêchant de se reposer. Une incapacité à pouvoir dormir qui lui inflige une souffrance lancinante. Une dette de guerre qui le consume de l'intérieur. Avec un passé aussi lourd et une telle particularité, il émane du Bourreau une aura écrasante, renforcée par son physique massif, sa taille imposante, et son surpoids évident. Affublé de costumes chics et arborant un cigare en permanence, il incarne une caricature du mal, rappelant certains méchants emblématiques venant d'outre-Atlantique. Il évoque notamment Wilson Fisk, alias le "Caïd", de l'univers Marvel, ainsi que le redoutable "Crane Rouge" de Hydra, avec ses accents allemands et une posture régissant un régime totalitaire, mais affichant également des similitudes avec Ernst Stavro Blofeld, membre de l'organisation "SPECTRE" dans James Bond. Avec tant d'imprégnations, il est évident que le Bourreau devient instantanément un grand méchant dans l'univers de Ric Hochet, prêt à défier notre héros blond à maintes reprises, au point de remettre ça régulièrement, devenant un adversaire offrant une dualité comparable à celle entre Lex Luthor et Superman. En cela, B. va marquer son entrée en scène en tirant le lecteur des investigations policières usuelles de Ric pour nous plonger dans un récit d'espionnage haletant.



Cramponnez vous, mon vieux !... On va prendre des risques !


Pour la première apparition de cet antagoniste majeur, le duo Gilbert Gascard, alias "Tibet", et André-Paul Duchâteau ne lésine pas sur l'intensité du récit. Une enquête captivante qui nous transporte au-delà des frontières françaises, dans un pays étranger qui reste malgré tout non nommé mais suggère clairement l'Allemagne de l'Est. Ce choix de décor revêt une importance cruciale, offrant une toile de fond permettant de confronter deux visions du monde diamétralement opposées : d'un côté, une vision totalitaire, de l'autre, une vision républicaine. Cette démonstration captivante souligne un attachement à la liberté et à l'égalité, sans toutefois verser dans une caricature facile et gratuite. Le récit démontre avec subtilité que trop de laxisme peut également conduire au pire, comme en témoigne la séquence d'ouverture, où Ric, face à Angel, se retrouve pris en otage à cause de sa logique républicaine, échappant de justice à la mort grâce à l'intervention du régime totalitaire. C'est une approche étonnante mais intelligente, démontrant que tout n'est ni totalement noir ni totalement blanc. Néanmoins, il est important de souligner que rien n'est enviable dans cette Allemagne de l'Est, et ce tome l'illustre de manière éloquente. La première moitié de l'album nous offre une impressionnante et longue course-poursuite en voiture, captivante et palpitante, qui nous maintient en haleine, faisant défiler les pages avec facilité. La seconde moitié se concentre davantage sur le complot et les pièges, où Ric doit affronter le génie du Bourreau en tentant de le devancer, une tâche loin d'être aisée. L'ensemble conduit à un récit riche en rebondissements, qui nous régale tout au long et aboutit à un dénouement à la hauteur, une réussite notable étant donné que les fins dans la saga Ric Hochet ont souvent été négligées, mais pas ici.



Ric Hochet est confronté à des défis de taille dans ce volume, notamment lorsqu'il tue un homme pour la première fois au cours d'une lutte à l'arrière d'une ambulance. Durant ce combat, il parvient à retourner l'arme de son agresseur contre lui pour le neutraliser. Cette scène marquante laisse Ric étrangement indifférent, suggérant qu'il n'en est peut-être pas à son premier acte de ce genre, à moins que ma mémoire ne me fasse défaut et qu'il ait déjà été impliqué dans la mort d'un adversaire dans un tome antérieur. Le commissaire Bourdon ne fait qu'une brève apparition, sans laisser une présence marquante dans cette histoire il reste comme à son habitude sympathique. Il est ironique de noter sa phrase de remerciement envers Ric, le qualifiant de figure paternelle, alors que la situation devrait être inverse. Parmi les nouveaux personnages, d'abord le général Val, qui fait office d'un responsable exemplaire, à l'inverse de l'inspecteur SCHÜLTZ avec son visage carré et son allure atypique qui incarne parfaitement l'agent allemand. Enfin, Witek et sa fille Karina se révèlent être des éléments importants. Il est curieux de constater à quel point cet album insiste à plusieurs reprises sur la petite taille de Witek, en faisant un sujet de moquerie récurrent. Les dessins de Tibet atteignent une fois de plus leur objectif, particulièrement dans les scènes nocturnes. Il parvient à conférer à ses cases une atmosphère de Guerre Froide redoutable qui s'accorde parfaitement avec le récit. Une note personnelle de Tibet transparaît également, car dans une vignette située dans la chambre de Nadine, nous découvrons un portrait de Serge Reggiani accroché au mur, révélant ainsi l'admiration du dessinateur pour cette figure artistique.




CONCLUSION :

"Ric Hochet contre le Bourreau", du duo Tibet et André-Paul Duchâteau, s'impose comme une enquête captivante et mouvementée. Introduisant un antagoniste mémorable en la personne du Bourreau, ce récit plonge notre journaliste dans un univers totalitaire évoquant celui de l'Allemagne de l'Est. La narration oscille habilement entre une course-poursuite effrénée et une exploration des nuances complexes d'une Allemagne divisée, le tout via une conduite espionnage bienvenue. Les rebondissements sont bien orchestrés et le dénouement nous régale.


Un album marquant de la saga, offrant une confrontation sous suspense entre Ric Hochet et un adversaire à la hauteur de sa renommée.

- Vous... vous avez gagné, B.!...
- Oui... Je finis toujours par gagner !...
B_Jérémy
8
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le 26 nov. 2023

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