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Qui a encore laissé le gosse jouer avec les crayons ?

De la bombe. Plus précisément, de la bombe sale. Le genre radioactive et biologique à la fois qui vous fait excréter le gros de vos organes internes dans la seconde sans avoir manqué de vous rendre aveugle au préalable. C'est en tout cas mon ressenti une fois le trente-huitième tome de Samurai Deeper Kyo prestement refermé.


D'emblée, ce Kenshin du pauvre - ou plutôt du miséreux - annonce la couleur sans rougir : le pire du Nekketsu est à venir. Toi qui ouvre ces volumes abandonne tout espoir. Dès les premières pages, le surnom du personnage principal est porté à notre connaissance : «L'imbattable». Déjà, le ton est donné. Là où l'auteur de Nekketsu sans imagination moyen fait montre de pudeur en laissant entendre par instants que son personnage principal serait parfois faillible, ici, aucune place au doute n'est permise ; nous aurons droit au festival de la débauche de puissance invraisemblable et décevante. Akimine Kamijyo a la mérite de la franchise et ne nous prendra en traître à aucun moment. Lui, contrairement à d'autres, ne s'embarrassera même pas à pourvoir à un instant donné son œuvre qualitativement afin d'appâter le chaland. Samurai Deeper Kyo, ce sera mauvais, certes, mais assumé comme tel dès le premier chapitre et fidèle à ses engagements jusqu'au bout sans faillir un seul instant.
S'il était possible de ne retirer qu'une seule chose positive de cette parodie de Shônen, ce serait la constance. Le chemin de la nullité est dressé face à lui et jamais SdK n'en déviera.


Mes premières impressions furent celles d'un adulte présenté à la fiction d'un enfant dont les fonctions motrices et cognitives n'auraient pas fini de se développer. C'est véritablement digne d'un fantasme d'élève d'école primaire. Alors que je manquais très vite de m'étrangler devant la médiocrité apparente et substantielle de «l'œuvre» (oui, les guillemets sont de rigueur. Et pas qu'un peu), j'entendais presque les échos de la voix de l'auteur qui présentait son travail à sa maison d'édition:



«Alors... alors bah y'a Kyo, c'est le héros parce qu'il est vachement
fort tu vois, il bat ses ennemis facilement en faisant prrfFsshHH et
ShLlAAk avec sa grande épée et ses pouvoirs et tout et... et... et on
l'appelle l'imbattable et pis... et pis aussi... il a un gros kiki
et... et... et les filles se moquent pas de lui à l'école et pis....
et pis il défonce tout le monde prRrfffSSsh».



Le deuxième «prRrfffSSsh» étant primordial afin que le chargé éditorial capte la teneur véritable de ce que serait Samurai Deeper Kyo.
Je mets au défi tout lecteur attentif à minima de me soutenir qu'il n'avait pas ressenti l'impression d'être présenté au travail d'un enfant de moins de treize ans à un moment donné de sa lecture. De l'apparence des protagonistes aux enjeux creux et brouillons, tout est admirable d'amateurisme.


L'histoire (et c'est déjà un grand mot de l'appeler ainsi) nous présente d'abord un Ryo Saeba de bac-à-sable en la personne de Kyoshiro. Les premières pages ont à peine été effleurées - et présageant déjà du pire - que j'ai fait référence à deux titres réputés du monde du Shônen, à savoir Rurôni Kenshin et City Hunter. Que ces deux mangas à succès soient parus dans le même magazine assez peu de temps avant SdK et que ce dernier semble avoir déjà fait de lourds emprunts à ceux-ci est évidemment fortuit. Tout autant que cette ressemblance malheureuse et accidentelle entre cette planche du manga et celle tirée d'un chapitre de Hunter x Hunter publié à peine quelques semaines avant.
Mais à supposer que je sois malveillant - juste à supposer - peut-être que je pourrais aller jusqu'à supputer voire même envisager que Samurai Deeper Kyo est foncièrement dépourvu d'identité propre. Qu'il préférerait s'assumer comme un pot-pourri du Shônen, empruntant aveuglément ici et là tout ce qui fonctionne plutôt que de chercher à se démarquer et se montrer original afin de laisser sa propre empreinte. En somme, à la mesure d'un psychopathe qui aurait pelé la peau d'une vedette pour la revêtir, espérant alors sérieusement qu'il jouirait de la même célébrité à compter de cet instant. Seulement, ça ne fonctionne pas comme ça.
Je m'apprête à écrire ces mots avec tout le mépris que ceux-ci comportent : Samurai Deeper Kyo est un précurseur de Fairy Tail dans l'agencement de tous les éléments qui le composent. Sous ma plume, je vous prie de croire que cette phrase est la plus immense insulte qui puisse se concevoir.


Qui dit Ryo Saeba de synthèse - en infiniment moins bien, cela va sans dire - suppose donc une Kaori de circonstance. Yuya sera alors prévue à cet effet. Pour ça, mais aussi et surtout pour jouer - à merveille - le rôle du personnage féminin de Nekketsu sans âme. Vous savez bien, celle qui passe son temps à ne servir à rien, à se faire secourir sans arrêt et à pleurer pour le héros jusqu'à ce que ce dernier se décide finalement à l'épouser.
Bien évidemment, le Ecchi racoleur que même un adolescent immature aurait eu des scrupules à mettre en scène sera de la partie. Nudité gratuite, pelotage intempestif ; rien n'est trop beau pour montrer à son lectorat qu'on ne le respecte pas en le prenant pour une masse libidineuse absolument dépourvue de cervelle. Le montant des ventes du manga prouvera que l'auteur n'avait finalement pas tellement tort à leur sujet. Car très franchement, il ne faut pas avoir beaucoup d'estime de soi pour se ruiner à suivre volontairement cette série et s'en contenter. Je sais que ce n'est pas très propre de s'en prendre ainsi à des lecteurs, mais je me suis sali l'âme à lire trente-huit interminables tomes précisément parce qu'il s'est trouvé un ramassis de dingues pour encourager l'auteur à perdurer aussi longtemps. Comprenez ma frustration.


Ryo... pardon... Kyoshiro est chimiste. On l'apprend dans le premier chapitre. On l'apprend, puis on l'oublie. Là où Akimine Kamijyo avait introduit la possibilité d'étoffer son manga avec des astuces à base de produits insolites divers et variés afin de sortir des clous, il ne manquera pas de gâcher cette opportunité aussitôt. À se demander pourquoi il nous l'a présentée. La subtilité ? L'originalité ? L'adresse ? Tous ces mots résonnent aux oreilles de l'auteur comme des insultes. Non mes braves, il sera question de combats brutaux et débiles dépourvus de la moindre qualité fut-elle conceptuelle ou graphique.
Bien entendu, les dessins ne sauvent pas les meubles. Le style est impersonnel, peu détaillé et on s'emploie à donner une apparence improbable à chaque personnage pour le faire sortir du lot. Si vous ne savez pas doter vos personnages d'un caractère développé et disposé à évoluer intelligemment au fil du récit, optez plutôt pour une coupe de cheveux ébouriffée, il faut croire que ça compense. C'est en tout cas une leçon que j'ai retenu de mes innombrables lectures de Shônen au fil des ans. Une leçon qui en dit long sur l'étendue des qualités éditoriales nous étant offertes depuis un moment.
En dehors de leur apparence, les personnages - protagonistes comme antagonistes - sont tous si vides qu'ils en deviennent même interchangeables.


Peut-être se trouvera-t-il un petit malin pour me dire avec assurance «Mais voyons, c'est un manga qui s'inspire intelligemment du contexte historique du Japon médieval, quatre ans après la bataille de Sekigahara». Alors soit. Abordons le volet historique de Samurai Deeper Kyo puisque l'intrigue est effectivement sensée se dérouler dans le monde réel à une période ayant existé. Un monde réel et réaliste où le premier brigand venu peut arrêter trois balles de mousquet avec les dents et où les sabres peuvent envoyer des dragons et des phénix. Mais passons ces menus détails sans importance.
Si tant est que des lecteurs apprécient l'Histoire comme cela est mon cas, je ne saurais que les enjoindre à ne pas lire les lignes qui suivent. Vous vous feriez alors beaucoup de mal.


L'historiographie donc. Revenons sur l'approche.... particulière et révisionniste de l'ère Edo telle que perçue par Akimine Kamijyo. Notamment sur le fait que Ieyasu Tokugawa et Hattori Hanzô ne seraient qu'une seule et même personne (c'est Batman avant l'heure) ou par exemple... que Oda Nobunaga aurait... consécutivement à sa mort.... été transformé en une sorte de zombie qui, non-content d'être vaincu une fois par Kyo, reviendra à la charge, fusionné avec le corps d'un autre samouraï surpuissant.
Comment dire.... j'ai découvert l'histoire du Japon sous un œil nouveau et j'ai curieusement très mal à la rétine depuis. Je pourrais aussi vous parler des démons à écailles que rencontreront occasionnellement les protagonistes, mais je préfère ménager le lecteur de cette critique qui, à ce stade, a probablement besoin de reprendre son souffle.


Je n'ai même pas le cœur à décrire la trame du manga. Une ligne me suffirait pourtant. Un mot, même...
Un scénario, y en a-t-il seulement un ? Autrement qu'une succession ininterrompue de combats, un petit plagiat de Saint-Seiya en passant (remplacer des sanctuaires par des portes ne suffit pas pour justifier une intrigue où il faut sauver le personnage féminin principal de l'empoisonnement dont elle est victime en combattant les piètres équivalents des Chevaliers d'Or qui feront ici office de substituts), je n'ai rien vu de l'intrigue. Les membres d'un clan débile veulent devenir les maîtres du monde (ils n'en connaissaient d'ailleurs même pas les confins à cette époque) et c'est parti pour la castagne sourde et rébarbative. L'intrigue ici ne s'écrit pas, elle se régurgite.


Nous sommes véritablement présentés au parfait manuel de tout ce qu'il ne faut pas faire dans un Shônen. Toutes les pires décisions ont été prises afin d'offrir le pire rendu imaginable en terme de Nekketsu. C'est bien simple, si avec un flingue sur la tempe on me forçait à retirer au moins un élément positif issu du manga, même avec toute la meilleure volonté du monde, je puis vous assurer que je finirais avec un trou dans la tête. Une foirade intégrale qui a en plus l'audace d'avoir été pensée comme telle.
Après tout, qu'a tenté de faire Kamijyo si ce n'est piocher inconséquemment dans les derniers Shônen à succès de l'époque afin d'essayer de retirer une notoriété ? Tout auteur est évidemment voué à s'inspirer des créations de ses pairs, mais il se doit d'apporter une valeur ajoutée considérable pour s'en démarquer. Akimine Kamijyo s'attend à ce qu'en prenant une part de tous les gâteaux à portée de main, il en retire un dessert cumulant toutes leurs douceurs une fois passé au mixer. Ce qui en ressortira ne sera rien d'autre qu'une boue pâteuse et indigeste qui, au mieux, vous refilera le diabète. C'est bien le diabète, ça peut rendre aveugle ; comme ça, on n'aura pas à lire Samurai Deeper Kyo. Faut savoir trouver les petits plaisirs même dans l'adversité.


J'apprendrai au cours des volumes que les protagonistes seraient devenus plus forts. C'est difficile à déterminer dans la mesure où, chaque personnage employant des techniques démesurées dès le début, il est difficile d'observer la gradation dans le caractère dévastateur de ces dernières. Difficile en effet de voir la différence entre une bombe A et une bombe N en ce sens où les deux ont peu ou prou le même effet lorsqu'elles vous tombent sur le coin du museau. Rien à attendre des combats non plus. Je n'ai pas manqué de vous avertir en introduction : abandonnez tout espoir. Il n'y a rien à sauver.


Ce n'est pas pour autant que l'auteur en perdra sa motivation, faisant perdurer le calvaire sur trente-huit volumes (on les sent passer, croyez-moi). De ce que j'ai pu lire des critiques positives du site, même les passionnés ont trouvé que ça traînait en longueur. Je ne comprends toutefois pas pourquoi ces derniers se sont lassés. Après tout, Kamijyo sera tout au long de son récit resté au même niveau d'écriture : en dessous de tout.
Une fois à court de nouveaux antagonistes sortis de son chapeau tous les quarts d'heure - tous plus puissants encore que les précédents - l'auteur capitulera enfin. Kyo se sacrifie pour vaincre le roi rouge, mais en fait non. C'est le principe du sacrifice sans inconvénient. On sacrifie sa vie mais on n'en meurt pas. Le concept ne manque pas d'audace mais au terme de ma lecture, j'étais trop épuisé nerveusement pour le creuser davantage. Gageons que l'intérieur était aussi creux que le reste.


La fin est tout ce que l'on peut attendre d'un des Shônens les plus bas-de-gamme qui soient. La guerre est finie, donc la paix durera encore mille ans (l'auteur n'a manifestement pas potassé le moindre livre d'histoire de sa vie), Yuya vit avec Kyo parce qu'il faut croire que ce dernier a trouvé le temps de tomber amoureux d'elle entre deux massacres au sabre et on envoie chier le lecteur avec une conclusion qui, comme le reste, n'aura su exprimer la moindre forme d'originalité. Constant jusqu'au bout sans déroger, Akimine Kamijyo se sera foutu de son monde sans une fausse note à un quelconque moment. Un maître dans son art.


À ce jour, je ne comprends pas pourquoi Naruto est retenu comme la référence ultime de mauvais goût en matière de manga. L'œuvre a certes ses faiblesses mais Samurai Deeper Kyo est et restera la norme mère (auprès de Fairy Tail, bien entendu) dès lors où il s'agira de hiérarchiser la néantise dans le monde du manga et en particulier du Shônen. Un cas d'école. Et pas un de ceux dont il faut s'inspirer. Plutôt un témoignage de l'indicible afin que plus jamais l'erreur ne se répète.

Josselin-B
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le 7 avr. 2020

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Josselin Bigaut

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