La bande dessinée dite documentaire se développe depuis quelques années, les collections aussi, comme La petite bédéthèque des savoirs chez Le Lombard, avec de très bons ouvrages. En 2016 Casterman lance Sociorama, où des auteurs de bande dessinée adaptent des enquêtes sociologiques, c'est du sérieux. L’ambition est ainsi de se plonger au plus près de différentes catégories de population, afin de « s’amuse[r] à décoder les dessous de notre société », sur différents domaines.
La collection est dirigée par Lisa Mandel et Yasmine Bouagga, et c’est cette première qui ouvre le bal avec « La fabrique pornographique » qui sera ici traité par votre serviteur avec de nombreuses allusions vaguement drôles, vous êtes prévenus. Il est assez amusant de retrouver sur ce sujet cette auteure au trait rond et enfantin, surtout connue pour les facéties piquantes et imaginatives de Nini Patalo (pour les (grands) enfants).
Basée sur l’enquête Le Travail pornographique réalisée par Mathieu Trachman, cet album nous présente ainsi deux nouvelles têtes, deux nouvelles entrées dans le marché du film pornographique, avec Howard et Betty, d’abord dans l’amateur puis plus en profondeur dans le professionnel. Leur parcours permet ainsi de dresser quelques caractéristiques de ce milieu.
C’est donc l’occasion de découvrir un peu mieux l’envers du décor, ce marché du X avec ses attentes et ses règles. La présentation qui en est faite se dévoile même assez joyeuse, loin de certaines visions un peu trop glauques qu’on pourrait avoir.
Bien sur, il y a des impératifs, c’est aussi un travail, celui de la performance qui n’est pas si facile à atteindre ou maintenir mais aussi une certaine ouverture dans les pratiques sexuelles, si on veut durer (dans le métier). Le sexe n’est pas toujours une partie de plaisir dans ces conditions.
C’est aussi un milieu qui va et qui vient, obsédé par la recherche de la petite dernière, de la nouvelle tête. Rares sont les vedettes à s’imposer, celles qui peuvent apparaître dans seulement une scène pour une jolie somme et avoir sa tête sur la jaquette. Pour les autres qui veulent rester dans le marché juteux des galipettes, il faut parfois aller chercher de nouvelles responsabilités dans l’équipe, ou adopter de nouveaux créneaux, pour viser des cibles aux attentes plus particulières. L’industrie est ainsi une des rares où les femmes sont mieux payées que les hommes, mais elles ne peuvent pas faire tout ce qu’elles veulent, loin de là.
Les tournages sont ainsi présentés avec une certaine légèreté, avec un esprit d’équipe dans la débrouille qui soude les personnes, malgré quelques tensions qui peuvent apparaître. La communication est importante, ça discute beaucoup, s’échangeant des bons plans ou même quelques astuces pour les débutant(e)s. Ces tournages peuvent même avoir des bons côtés, dans de belles maisons au soleil, nourris et logés pour s’envoyer en l’air. On retrouve dans le livre l'ambiance du tournage présenté par Georges Lautner dans l'amusant On aura tout vu !. Mais on peut supposer que tout ne se passe pas aussi bien, notamment dans des milieux moins professionnels, mais ce n’est pas le sujet du livre.
Avec le trait mignon de Lisa Mandel, et toujours son humour habituel, l’ouvrage dédiabolise le porno professionnel, même si tout n’est pas rose. La fabrique pornographique nous en montre beaucoup (les scènes de sexe ne sont pas dissimulées, mais sans être vraiment érotiques), et dévoile différentes facettes du métier parfois insoupçonnées. Pas de quoi faire naître des vocations (encore queue…), mais en tout cas la promesse de la collection est tenue, à juste titre, sur la présentation « des dessous de notre société ».