Soie
8.2
Soie

BD (divers) de Alessandro Baricco et Rebecca Dautremer (2012)

Je connaissais déjà le beau roman d’Alessandro Baricco paru en 1997, mais c’est un peu par hasard que j’ai découvert cette version illustrée par Rebecca Dautremer en flânant chez mon libraire habituel. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’association de ces deux talents est tout simplement remarquable et donne naissance à une oeuvre autre, encore plus belle, touchante et poétique. Une merveille, tout simplement.


Pour ceux, mais en existe-t-il encore, qui ignoreraient tout de ce très court roman d’Alessandro Baricco, son troisième très exactement, sachez qu’il existe une version poche au tarif imbattable disponible dans toutes les bonnes crèmeries, mais la version illustrée mérite amplement que vous cassiez votre tirelire pour en faire l’acquisition car c’est un livre-objet absolument splendide, que vous prendrez plaisir à manipuler et à feuilleter et davantage encore à prêter à vos proches. Sachez par ailleurs, qu’une fois terminé ce livre ne se range pas dans votre bibliothèque comme un vulgaire livre de poche, car ainsi relégué il serait condamné à ne dévoiler que son modeste dos. Non, ce livre est invité à être exposé, à trôner sur un joli petit chevalet (ou un lutrin, je ne suis pas sectaire), afin que chaque jour ses ravissantes illustrations flattent votre rétine. Bon d’accord, je fais légèrement dans l’emphase, mais vous aurez compris que je suis tombé amoureux de l’objet autant que de la merveilleuse histoire qu’il contient. J’en vois déjà qui s’agitent sur leur chaise et tentent de me glisser subrepticement que Soie n’a rien d’une histoire merveilleuse, qu’il s’agit d’un roman, certes d’une grande délicatesse et d’une grande élégance, mais profondément triste et mélancolique. Oui, c’est vrai, mais je maintiens le terme qui à mon sens définit le mieux ce roman. Merveilleux sur le plan de l’écriture, incroyablement maîtrisée et si bien travaillée qu’elle confine à l’épure, c’est fluide, chaque mot est admirablement choisi et sonne parfaitement juste. C’est simple, il n’y a absolument rien à retrancher ni à ajouter. Merveilleux sur le plan de la narration, qui s’inspire d’une certaine manière des contes et des histoires de notre enfance, mais avec un ton résolument adulte, c’est très bien fait et la répétition à quelque chose d’hypnotique et de rassurant ; Alessandro Baricco y intègre juste quelques petites variations qui font évidemment toute la différence et la subtilité du procédé. Merveilleux sur le fond, car si l’histoire est finalement triste et traversée par un spleen infini, la manière dont elle est racontée, tout en douceur et en implicite, en font un très beau moment de lecture car ce qui est triste est parfois aussi très beau.


Vous aurez sans doute remarqué que, contrairement à mon habitude, je ne vous ai guère dévoilé les éléments du récit. J’avoue qu’il s’agit moins de ménager le suspens que de préserver une histoire qui, étant donnée la brièveté du roman, ne doit être que très délicatement dévoilée. Mais levons tout de même quelque mystère. Soie se déroule dans la seconde moitié du XIXème siècle et raconte l’histoire d’un certain Hervé Joncour, éleveur français de vers à soie, qui, en raison d’une maladie qui ravage les élevages européens, doit se rendre à plusieurs reprises au Japon pour ramener des larves destinées aux filatures de son village. Ces voyages feront sa fortune aussi bien que son malheur. Soie est évidemment une histoire d’amour contrariée, rien de nouveau sous le soleil, mais sa réussite réside moins sur le fond que sur la forme. Est-ce une faiblesse ? A mon sens non tant la manière de le faire est en parfaite adéquation avec le récit mais c’est parfois ce qui a été reproché au roman d’Alessandro Baricco.


Quelques mots enfin sur les magnifiques illustrations de Rebecca Dautremer, qui ajoutent une dimension contemplative au récit, de manière fort circonstanciée et poétique. Son travail, très photographique dans le choix des cadrages et des compositions, mais également très inspiré dans les tons employés par la peinture japonaise, colle parfaitement à l’histoire et à l’ambiance du roman. L’alchimie est tout simplement parfaite. L’alliance des deux est une merveille que je vous invite à découvrir, avec l’innocence et la naïveté des premières fois si jamais vous connaissez déjà le roman d’Alessandro Baricco.

EmmanuelLorenzi
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le 10 janv. 2020

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