La Compagnie noire par Emmanuel Lorenzi
L’écrivain américain Glenn Cook est surtout connu pour être l’auteur du cycle de la Compagnie noire, une série à succès que d’aucuns affirment classer dans la dark fantasy. On n’épiloguera pas ad vitam eternam sur ce qualificatif, qui visiblement a été amputé de son sens premier en franchissant l’Atlantique. Alors que les anglo-saxons l’emploient essentiellement pour cataloguer les oeuvre relevant du fantastique horrifique, les fans français considèrent que la dark fantasy est une variante de l’heroic fantasy dont les protagonistes ne seraient plus les sauveurs du monde, mais plutôt les potes de Sauron. Honnêtement, la polémique fleure bon l’odeur de moisi et les classifications étant le plus souvent abusives, on se contentera d’en sourire et d’attaquer l’oeuvre proprement dite. La compagnie noire bénéficie d’une réputation plutôt élogieuse (les onze tomes de la série prouvent que le succès commercial est au rendez-vous) et la lecture du pitch laisse apparaître quelques bonnes idées, surtout pour les lecteurs fatigués de suivre les aventures de héros falots et pleins de bons sentiments. Cook nous promet une histoire plus sombre, plus mature et beaucoup moins manichéenne. On demande à voir, mais surtout on se procure la version poche à pas cher parce que tout de même on n’est pas vraiment rassuré par la lecture des premières pages.
Le scénario n’a, à priori, rien de compliqué, sous la plume du narrateur (appelé Doc), nous découvrons l’engagement d’une compagnie de mercenaires pas vraiment sans foi ni loi au service de la Dame, une puissante souveraine dont les desseins paraissent sinon maléfiques au moins obscurs. Sans le savoir, les hommes de la compagnie noire ont en réalité accepté un marché de dupe et ont pris position dans un conflit séculaire qui oppose des forces qui les dépassent. Installée dans la cité de Beryl, au service d’un dirigeant dont les jours au pouvoir semblent comptés, la compagnie noire doit faire face à la contestation populaire et fuit la ville après avoir plus ou moins massacré la garnison. Ils franchissent la mer en direction du Nord après avoir accepté l’offre de l’homme lige de la Dame et s’engagent à rejoindre le gros de ses forces. Durant le voyage, Doc dévoile quelques éléments supplémentaires. On apprend que dans les temps anciens, le Dominateur et son épouse (la Dame) maintenaient leur emprise implacable sur le monde. Pour mettre fin à leur règne machiavélique, la Rose Blanche, une puissante magicienne de la Rébellion, faute de pouvoir détruire définitivement leur pouvoir, les enterra vivants dans un tombeau en compagnie de leurs dix asservis (des mages très puissants). Comme toutes les bonnes choses ont une fin, le mal tente à nouveau d’étendre son emprise sur le monde et les forces du bien se soulèvent contre le pouvoir renaissant de la Dame et de ses asservis.
C’est suffisamment rare pour être souligné, mais après cent cinquante pages d’une lecture poussive et confuse La compagnie noire a eu raison de ma patience. J’avoue rester dubitatif quant-au succès remporté par cette série, même si je suis capable de lui reconnaître certaines qualités, notamment la volonté affichée par son auteur de sortir des canons du genre et de tenter une approche plus mature. Hélas la lecture de l’ouvrage se révèle d’un ennui mortel. Les enjeux restent obscurs, les forces en présence demeurent floues, les personnage manquent singulièrement de substance. Cook nous plonge directement dans le bain, sans explication, ce serait formidable si l’auteur savait dans quelle direction mener sa barque, mais le sentiment de voguer à vue persiste tout au long des cent premières pages, voire davantage. Cet aspect brouillon du roman use la patience du lecteur, qui aimerait bien comprendre ce qui se passe. Même les promesses initiales ne semblent pas tenues, on assiste bien à un massacre en règle au début du roman, puisque la compagnie égorge une garnison complète par surprise (comprendre, pendant que les hommes se reposaient), il est vrai que c’est assez vil, mais quelques chapitres plus loin, Doc et ses acolytes sauvent un petit vieux et une gamine qui se faisaient violenter par des brutes appartenant à une compagnie alliée. La gamine, surnommée Chérie est ensuite adoptée comme mascotte. De vrais durs on vous dit. Avec une écriture de grande qualité on pourrait s’y retrouver et lire pour la beauté du texte, hélas, Cook n’est pas exactement un grand styliste ; les descriptions sont sommaires et ses dialogues pour le moins basiques. Quant à la construction narrative elle brille par son classicisme. L’ambiguïté du propos, la gestion efficace de l’ellipse, les potentialités cachées du non-dit, autant d’éléments qui sont les ingrédients d’un roman de qualité, mais qui, mal maîtrisés, tombent littéralement à plat et ne participent qu’à la confusion du lecteur. Suis-je trop obtus pour comprendre le génie de Glenn Cook, sans doute, mais les romans dont j’ai lâché la lecture après cent cinquante pages se comptent sur les doigts de la main.