C'est en trépignant d'excitation que je me suis enfin risqué à déflorer les premières pages de Solanin. Inio Asano, j'en ai fait connaissance par hasard, au détour de la liste des meilleurs mangas selon SensCritique. Il y a des rencontres qu'on n'oublie pas ; qu'on ne regrette pour rien au monde. Le moins que l'on puisse en dire, c'est que l'incursion dans son œuvre aura été marquante. Marquante comme peut l'être un doux traumatisme qui vous marquera à vie. Après tout, on ne cicatrise jamais vraiment d'une lecture de Bonne nuit Punpun et c'est aussi pour cela qu'on ne manque jamais de s'en souvenir.
En entamant Solanin, j'allais renouer avec cette atmosphère de drame lancinant, avec ces personnages si creusés qu'il pourrait en jaillir du pétrole et peut-être même une de ces trames dramatiques qui vous forcent à vous mordre la langue jusqu'au sang pour ne pas pleurer. C'était ma conviction. Puis, ma lecture achevée, il aura fallu que je rassemble mes idées. Ébranlé, je l'avais été, mais pas comme je l'espérais ; Solanin ne m'avait pas plu.
C'est avec un rien de frustration dans la plume qu'il faut s'accorder à reconnaître que Bonne nuit Punpun était le chef-d'œuvre d'Inio Asano. Et si l'on s'essaie à l'analyse étymologique, le «chef» renvoie à la tête ; au sommet. Mon seul péché est d'avoir abordé le palmarès de l'auteur et débutant ma course par le sommet. De là, on ne peut que descendre. Sans dégringoler pour autant, mais à chaque mètre que l'on parcoure, le paysage qui se profile sous nos yeux se fait moins majestueux ; plus quelconque.
Moins majestueux furent ses dessins en premier lieu. Ses plus belles esquisses, vous ne les trouverez pas ici. Peut-être Asano n'était-il pas le dessinateur le plus illustre de son siècle, mais c'eut été lui faire offense que de seulement laisser entendre que son trait était celui d'un amateur. Lui, contrairement à tant d'autres, peut se targuer d'avoir un style. Un style travaillé et détaillé qui plus est, mais un style qui se sera ici borné à ses prémices en terme d'élaboration.
L'aspect graphique y est ici un peu plus enfantin et même un brin épuré. Excellent néanmoins, mais plusieurs paliers de décompression en dessous de ce qu'avait pu fournir l'auteur avec Bonne nuit Punpun. Peut-être est-ce lui faire un procès indu que de rapporter chacune de ses créations à celle qui aura frôlé la perfection, mais, car il est l'auteur d'une référence, comment ne pas s'y référer ?
Malgré les réserves qu'il soit permis d'avoir, on retrouve pourtant très vite ce qui avait fait le sel de Bonne nuit Punpun, d'abord avec des gags sans bruit disséminés au milieu l'atmosphère ambiante entre deux dialogues. Des gags quasi subliminaux, mais redoutables. En revanche, pour ce qui est du reste de la mise en scène, je retiens mon souffle avant de rédiger ce qui suit car je n'aurais jamais cru un jour oser écrire cela d'un auteur qui m'aura tant secoué avec son œuvre phare mais... ce que je lis est diablement convenu. Trop bon enfant dans son postulat de surcroît.
Pire encore, le volet indigné se ressent dès les premières pages. Ce n'est ni encombrant, encore moins envahissant, mais «Tous pourri sauf moi» est un un refrain que je n'ai que trop lu et entendu pour m'en satisfaire à ce jour.
Ça s'appréhende d'abord telle une ode à la jeunesse qui finit sa mue vers le monde adulte. Une ode qui a le mérite de ne pas être intégralement absconse compte tenu du travail de réflexion derrière. C'est éthéré, bien formulé et approfondi, mais ça reste la narration d'une histoire pompeuse que j'ai déjà pu lire ailleurs. En moins bien, c'est entendu. Mais déjà lu tout de même. Solanin plaira davantage à un public féminin, je le crois ; ce sera le sentiment que j'en aurais retiré d'instinct.
Le passage à l'âge adulte s'accomplira en frayant dans le tertiaire avec son lot d'aléas entre autres tracasseries, avec à son centre, des réflexions existentielles jetées à l'envolée par centaines entre deux currys.
Gentillet. J'aurais aimé épargner une création Asano de ce qualificatif afin de ménager son pédigré, cependant... le verdict est sans appel, c'est gentillet. L'histoire d'amour n'y est pas à l'eau de rose mais l'arôme laissera un arrière-goût assez âcre sur le palais, comme celui qu'on retrouve dans les bons sentiments trop mielleux pour être de ce monde. Il y a véritablement de quoi se sentir éloigner du réel, ce même sens du réel impitoyable qui avait fait le succès de Bonne nuit Punpun.
L'entame n'est pas des plus agréables alors que l'on fait connaissance avec un manga dont les premiers chapitres s'en tiennent à un format d'instants de vie épisodiques avec, le plus souvent, une issue heureuse voire parfois sirupeuse à condition d'en tirer le meilleur comme la narration nous y intime subrepticement. J'attendais tout de l'auteur, mais pas ça.
Et puis... les histoires autour d'un groupe de musique, depuis Beck, vous ne m'en voudrez pas si j'ai comme des réactions allergiques. Épidermiques, même. Le scénario ne tourne pas qu'autour de ça, loin s'en faut, mais y revient fréquemment. Ça reste une courte histoire plaisante et même déchirante en un sens après que le groupe se soit très vite heurté à un mur dont je ne décrirai pas le cimentage ici, mais rien qui ne vaille la peine de laisser sa marque dans votre mémoire de manière durable.
À trop débiter du logos mal agencé, l'œuvre se veut si éthérée qu'elle se conçoit finalement comme un peu au-dessus de tout.
Le message final - car il y a une morale en filigrane - nous parvient en étant à peine audible et bafouillé sans trop de conviction. «Ouais, la vie, c'est un peu chiant parfois, mais voilà... si tu te donnes un peu de peine, ça devrait aller pour ce qui est de l'essentiel. Crois en tes rêves mais reste réaliste». Ça se veut aussi utile que des annonces du ministère de la santé en ce sens où, des platitudes, même aussi longuement exposées, demeurent des truismes malgré l'effort conséquent fourni pour leur donner de l'épaisseur.
La narration se veut délibérément confuse au début du tome deux pour nous dissimuler un événement marquant et crucial venu signer une rupture dans cette courte histoire. Un drame, ça rajoute du grain à moudre aux réflexions qui vagabondent, forcément. Celles-ci ont bien plus de consistance que précédemment et permettent un regain d'intérêt. Relatif cependant car, même dilué dans une bonne écriture, le pathos reste trop présent pour que la dégustation ne soit absolument digeste.
Y'a une certaine beauté dans le rendu final mais qui, là encore, se veut assez convenu dans son principe. Solanin tend parfois vers le tire-larme sans tirer suffisamment assez fort. Il y a de la subtilité dans l'agencement de son récit, seulement, la subtilité se conçoit dans le cadre de la rouerie, de la dissimulation honteuse ; inconsciemment, Asano savait qu'il nous prenait par les sentiments en rédigeant Solanin et, c'est encore bien pour cette raison que l'on n'est que trop peu disposer à verser la petite larme de circonstance. Il sera question ici d'une tragédie sans le sens du tragique, un récipient sans contenu.
Joli récipient cependant, mais pas suffisamment pour qu'il ne justifie que l'on reste contemplatif.