Solanin, par Inio Asano dont j’avais déjà lu le formidable (et dérangeant) La Fille de la plage.
Voilà un auteur qui a vraiment l'art et la manière de raconter les petites choses du quotidien. En l’occurrence, ici, la vie d'un couple, d'un groupe de rock et d'une bande de copain, jeunes adultes tokyoïtes, venu à la capitale leurs études, trouver le succès ou suivre les copains ou l'amour.
Difficile de raconter de quoi il s'agit tant le vrai sujet tourne autours des interrogations qui émaille la vie quotidienne, des choix qui peuvent remettre en cause l'avenir mais aussi le couple...
Tous les personnages sont tour à tour, amenés à s'interroger sur leur vie et à faire des choix, parfois à leur corps défendant, quand ils ne les fuient pas.
C'est subtil, très contemplatif, les personnages tous assez caractérisés sont pourtant sans outrance, on attendra vainement la tête brûlée du Shonen, hurlant sa colère et sa foi en l'amour et l'amitié.
Ici ces sentiments passent par la régularité et par le désir de continuer malgré tout, même si on est pas toujours très sûr d'être la bonne personne pour l'autre (et réciproquement).
L'idéal de musique des membres du groupe de rock est très différent pour chacun des membres : ce ne sont pas du tout les mêmes moteurs qui font que le trio continue et s'accroche de répète en répète, sans jamais tourner ou enregistrer. Ça n'a pas d'importance puisque chacun trouve son équilibre là-dedans.
La société japonaise existe en toile de fond : la pression de la réussite, de la famille et du travail émaillent tout l'album et sert souvent de déclencheur aux doutes des protagonistes.
Ce n'est pas d'ailleurs un univers très spécialement nippon qui est dépeint. On saura tous se reconnaître dans ce "combat ordinaire" où chacun est son propre adversaire.
Enfin, quant au graphisme, s'il est très évidemment manga, Asano a tout de même une petite spécificité avec ce rendu quasi réaliste des silhouettes et des décors, avec des visages plus idéalisés et simplifiés que le reste qui permet d'identifier facilement ses protagonistes.
Il fait aussi le choix d'un découpage et gaufrier très sage, quasi européen, dédaignant les fioritures de découpage shonen : pas de grosse diagonale découpée au cutter, pas d'accumulation de cases en cale-porte.
Cette sobriété contribue aussi au rythme lent du récit, dont on lit sans accélération du coeur les deux tomes, pourtant entrecoupé par une bombe émotionnelle qui sera évacuée dans l'entre deux livres.
Pour pinailler, j'ajouterais que de temps à autre, le mangaka nous place des longues cases noires qui viennent couper les séquences d'introspection, pour placer les monologues intérieurs des personnages. On peut s'interroger sur l'utilité de cet effet qui n'ajoute pas grand chose (comme souvent avec les cases noires), mais je cherche la petite bête pour avoir quelque choses à critiquer.
Évidemment, ce type de récit ne conviendra pas aux lecteurs de pan pan boum boum, en revanche, les lecteurs avides de miniature des sentiments y trouveront leur bonheur et ceux qui ont des apriori sur les capacités du manga à traiter avec intelligence et profondeur des thèmes les plus anodins auront ici une démonstration brillante du contraire.