Soldats de sable par aaapoumbapoum
Les rares récits antimilitaristes d’origine japonaise traduisent souvent une émotion sourde, vraisemblablement propre à cette culture, de résignation et de rage mêlées. Susumu Higa s’inscrit ainsi dans la droite lignée des cinéastes tels que Kon Ichikawa (La harpe de Birmanie et les Feux dans la plaine) ou Masaki Kobayashi (La Condition de l’homme). Sa particularité est d’épouser le point de vue des civils, habitants d’une minuscule île de l’archipel d’Okinawa pris entre les feux des deux camps alors que la défaite des japonais s’approche, inéluctable.
Soldats de sable offre dès lors plusieurs niveaux de lectures. Ces chroniques inspirés de témoignages ne laissent personne indifférent, alors même que Higa travaille un dessin qui ne flatte en aucun cas la tristesse. De ses cieux illuminés de bombes incendiaires émane même une certaine poésie graphique, tandis que l’expressivité des visages, qu’ils respirent la joie ou la peur, joue des codes graphiques du registre comique. Cette pudeur esthétique, son goût pour la luxuriance de la nature et le grotesque de la situation, apaise en permanence le flot d’émotions que chacun ne peut s’empêcher d’éprouver devant le saccage humain.
Mais Soldats de sable n’est pas qu’une suite de nouvelles inspirées par des témoignages. Il prend également fermement position sur les débats qui agitent le Japon au sujet du révisionnisme historique qui touche la bataille d’Okinawa, aujourd’hui encore, au sein de la nation. Notamment sur la responsabilité de l’armée impériale et de la propagande Showa sur ces soi-disant « suicides » de civils qui auraient refusés de se rendre à l’armée américaine. Ou encore sur le sentiment d’appartenance de la population d’Okinawa à la nation Japonaise. Peut-être que l’occidental, loin de ces particularismes, n’en saisira pas toute la mesure, mais ceci ne l’empêchera certainement pas d’être ébranlé par l’absurde de ce champs de bataille.
Stéphane BAPOUM pour les Inrockuptibles