Une leçon magistrale de bande dessinée

Faire de la BD est un défi. Peut-être un des plus compliqué, malgré les apparences. Et ça l'est encore plus lorsque l'on doit respecter un format précis. Trillo (prononcer « Tricho », puisqu'en Argentine et en Uruguay, les « ieu » espagnols deviennent des « ch »), pour ça, c'est un pro. Dans Spaghetti Brothers (Cosecha Verde, en V.O.), ça ne fait aucune exception. Créée pour le magazine El Globo, tout comme Cybersix, la série est dessinée par Mandrafina, avec ce style oldschool mais un peu intemporel, qui va nettement bien avec l'histoire. Les histoires, en huit pages gauffrier six, sont maitrisées comme pas permis. Sérieux, on a là une leçon magistrale.
En huit pages, il faut faire dans l'ellipse, le condensé, et ça n'a jamais été aisé de le faire bien. Pourtant, ici, tout semble mesuré au millimètre. Chaque parole, chaque geste, et donc chaque case, en imposent. Tout est là : à la fois le strict nécessaire, mais en même temps, tout ce qu'il faut. Les personnages sont brossés en deux-deux, et pourtant on les ressens en profondeur. Ils sont très vite beaucoup plus que la liste simpliste présentée par l'éditeur en introduction des albums (cf. résumé). Il y a en plus, une parfaite maîtrise, je dirais, « psychologique », tant au niveau des situations, que des personnages et de leurs réactions. A ça s'ajoute évidemment le trait de Mandrafina, et les expressions des personnages qui participent pleinement à rendre le tout vivant et palpable. Impressionant de justesse et de concision.
Il n'y a pas grand chose de plus à dire, tant cela est parlant à la lecture. Et d'ailleurs, pour bien s'en rendre compte, on lira les épisodes bouche-trou écrits par Saccomano, et réunis (un peu n'importe comment, puisqu'en dehors de leur chronologie) dans le quatrième tome de l'édition n&b de 1995. Saccomano fait bien son travail, respectant les contraintes, s'inscrivant dans l'univers sans le déranger. Les épisodes sont marrants, tiennent la route, ne font pas tache. Pourtant, on sent un petit quelque chose, un manque, léger, mais un manque.
On soulignera pour finir, d'une façon générale, l'étonnante conivence graphique et « énergique » entre les travaux des argentins et ceux des fumettis italiens. Historiquement, ça se sait, on descend autant des italiens que des espagnols, en Argentine, ça doit faire des liens.
Et puis surtout, on conseillera de préférence la version noir & blanc (soit l'intégrale imposante, soit les vieux tomes de 1995, seulement en occasion, et attention, parfois ça douille), parce que la nouvelle version, où ce qui constituait un tome de 24 épisodes est désormais scyndé en quatre albums de 48 pages, en couleurs. Et quelles couleurs ! tout comme pour le malheureux Bone, un lamentable rendu numérique aux couleurs fadasses. Message aux éditeurs, donc : arrêtez un peu de gâcher le beau n&b avec des couleurs bidons ! Allez, pour le fun, imaginons un instant Sin City en couleurs. On s'est compris, merci.
Je ne l'ai pas encore fait, mais il est conseillé, ensuite de lire les deux tomes de Vieilles canailles, chez Albin Michel, qui constitue une suite, avec les mêmes personnages, des années plus tard, réunis autour du cercueil de l'aîné, Amerigo. Là, un des neveux, écoute les histoires des uns et des autres, avec pour projet de les réunir dans un livre intitulé Spaghetti Brothers. Prometteur, non ?
colville
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste les argentins ont la classe

Créée

le 14 janv. 2011

Critique lue 489 fois

4 j'aime

2 commentaires

colville

Écrit par

Critique lue 489 fois

4
2

D'autres avis sur Spaghetti Brothers

Spaghetti Brothers
arnonaud
9

Critique de Spaghetti Brothers par arnonaud

On vient de me faire découvrir cette BD et elle est incroyable. J'ignorais totalement l'existence de cette série, de ces auteurs, jusqu'à la semaine dernière et là je viens de me prendre une jolie...

le 28 mai 2015

1 j'aime

Spaghetti Brothers
Guigui_Parigi
9

L'épopée d'une famille de psycho-pâtes

Une plongée oldschool dans l'Amérique en crise des années 30, autour d'une famille d'immigrés italiens. Malgré un cadre et une ambiance assez noire, le récit ne se départit jamais d'un second degré...

le 17 oct. 2013

1 j'aime

Spaghetti Brothers
bertuj
8

Pour le début

Les quatre premiers tomes (voire les quatre suivants) sont un régal : ça va vite, c'est très expressif malgré le peu de textes et le format de quelques pages par histoire permet de construire...

le 2 mai 2011

1 j'aime

Du même critique

Doctor Who
colville
6

la faute à Éva

Un jour, sur les bancs de la fac, j'ai connu Éva. Passons sur X évènements dont vous vous fichez, mais disons que c'est elle qui m'a fait basculer dans la SF et m'a permis de redécouvrir une série...

le 27 févr. 2011

65 j'aime

102

Equilibrium
colville
1

deux poids deux mesures

Bon tout le monde l'a déjà dit, mais ça me démange. Je sais pas bien ce qui a pris à Kurt, enfin, peut-être plus ou moins. Il avait un message à faire passer, un truc beau et profond sur la nature...

le 22 nov. 2010

34 j'aime

86

Sliders : Les Mondes parallèles
colville
1

Propagande !

J'avais un bon souvenir de cette série, que -comme presque tout le monde- j'ai vu et kiffé ado. Ces derniers temps, j'ai eu une envie soudaine de revoir tout ça. Oh bonheur : si l'on excepte des...

le 15 oct. 2010

31 j'aime

17