Émile Bravo continue son récit sur le même mode. Le rythme est lent et la progression de l'histoire l'est tout autant. On est, dans un premier temps, toujours aussi consterné par Fantasio et son attitude déplorable (il ne se choque des propos tenus sur les Juifs dans Le Soir que parce qu'on a détourné son texte original, pas pour le sens que la propagande lui a donné ; un peu comme l'émir Ben Kalish Ezab dans Coke en stock qui luttait contre Di Gorgonzola, non parce que ce dernier était esclavagiste, mais parce qu'on s'en prenait à lui et à ses propres biens ; par pur égoïsme). Mais, heureusement, la lecture devient plus agréable à partir du moment où s'opère un changement radical (et un peu artificiel, il est vrai) dans le caractère de Fantasio. Il faut malgré tout attendre pas mal de pages peu palpitantes avant d'en arriver là.
Pour le reste, on notera que Bravo a pris le temps de présenter un personnage d'ecclésiastique qui soit positif par rapport à ses confrères, sortant ainsi l'histoire du primaire "les curés sont tous dégueulasses" (voire pédophiles - cf. "La Loi du plus fort" en ouverture de la réédition du Journal d'un ingénu) qui existait depuis le début et ajoutait un élément négatif supplémentaire au SPIROU vu par Bravo. Non pas que j'éprouve une grande sympathie pour quelque clergé que ce soit (bien au contraire), mais lorsque c'est aussi insistant dans la caricature, c'est vraiment gênant.
Un peu plus loin vers l'horreur est légèrement moins didactique et misérabiliste que ses prédécesseurs, mais on a parfois la sensation de piétiner pas mal dans le récit. Ça se lit cependant sans trop de peine car on s'est habitué à l'état d'esprit de l'auteur depuis et parce qu'on veut savoir comment les choses vont tourner pour Spirou et ce qu'est vraiment devenue Kassandra. (Autre absurdité d'ailleurs commise par Bravo : pourquoi tout à coup Fantasio ne se souvient plus de qui est Kassandra après trois tomes dans lesquels Spirou n'a pas arrêté de lui parler d'elle et qu'ils l'ont tous deux mise en scène dans leur théâtre de marionnettes durant des semaines !?)
Et puis, il y a cette maladresse finale : un Juif, souriant, content de partir à Auschwitz pour y retrouver sa famille. Mais bien sûr !
Qu'on ne soit pas encore informé, à l'époque où se déroule l'histoire, de ce qu'il se passait vraiment là-bas, certes. Mais je ne suis pas totalement certain que, même en pensant n'être envoyé que dans un "simple" camp de travail, quiconque ait jamais eu le sourire en se faisant déporter ; où que ce soit. Sans ça, l'album aurait valu plus.
Bref, Bravo a encore frappé.