Tout commence dans la librairie. On musarde entre les rayons et lorsqu'on l'aperçoit, on est immédiatement attiré par ce bel objet luxueux au dos toilé. "Une intégrale sans doute ?" se dit-on, vue l'épaisseur du bouquin. On le feuillète, et là aussi, c'est incontestable : c'est impressionnant ! Les pages alternent couleurs froides-couleurs chaudes et extérieurs-intérieurs avec le noir profond de l'univers et donnent une vraie claque visuelle. Mais, malheureusement, en y regardant de plus près, c'est-à-dire les personnages, on déchante un brin. C'est d'une laideur incroyable en regard du reste. Surtout que les personnages animaliers sont parfaitement exécutés, eux. Si Bablet sait aussi bien faire des animaux avec représentation des volumes, pourquoi n'utilise-t-il pas également son incontestable talent graphique pour dessiner les humains ? Ou, en tout cas, pour les faire de manière plus regardable, au lieu de ces figures plates évoquant des pliages de papier (Et ces visages en formes de D majuscules ! C'est très laid), car, après tout, des Tardi ou des Uderzo dessinent des décors ultra réalistes pour des personnages qui ne le sont pas.
On repose donc l'album une première fois et, régulièrement au fil des mois, en revenant dans la librairie, on tourne autour de Shangri-La. L'attraction est évidente. Mais c'est très épais (entre deux passages dans le magasin on a appris que ce n'était pas une intégrale), et ayant déjà été échaudé par la lecture d'albums qui étaient a priori formidables, on hésite encore à acquérir le bouquin. On le laisse donc encore dans le rayon pour la énième fois, en se disant : "Pourquoi pas, mais un autre jour. Les personnages sont vraiment trop moches ! Quand j'aurai des sous peut-être..."
Et puis, chance ! une bonne âme vous le prête. On enclenche une playlist de qualité qui devrait convenir au récit (Sonic Seasonings de Walter/Wendy Carlos) et on se prépare à consacrer une bonne partie de l'après-midi à lire cette somme alléchante. A l'instar du gourmand qui susurre un "miam" de satisfaction avant d'entamer son plat préféré, on se pose dans son fauteuil douillet et, enfin, on commence la lecture dans des conditions idéales...
Lecture finie.
Bien content de ne pas avoir acheté ce pensum.
On se fait à l'esthétique affreuse des personnages parce que, comme dit plus haut, le cadre est magnifique et grandiose. L'histoire vaut ce qu'elle vaut, mais le problème de ce scénario est son immense naïveté et la puérilité des propos. Constamment, on a l'impression que les dialogues ont été écrits par un lycéen qui ressort bêtement et sans réflexions ce qu'il a entendu dire par ses parents ou qu'il a vu dans divers reportages et autres documentaires TV ; le tout agrémenté à la sauce SF que l'auteur a lue dans les grands romans du genre (1984, Le Meilleur des mondes...) et vue dans quelques films à la réputation parfois surfaite (2001). La sensation est d'autant plus appuyée et désagréable que Bablet a un style lamentable. Le fait de ne jamais utiliser de négation dans ses phrases à la forme négative rend trop souvent la lecture pénible et, parfois, il ne comprend même pas ce qu'il écrit : Comme malheureusement beaucoup trop de monde de nos jours, il confond ainsi les interjections "Bah" (synonyme de "bof") et "Ben" (diminutif de "bien"). Genre : "Bah oui ! Les restrictions d'eau c'est un problème" (ce qui veut dire : "Bof oui ! Les restrictions d'eau c'est un problème." - ce qui est idiot - au lieu de "Ben oui ! Les restrictions...") Et, bien sûr, l'éditeur ne fait pas son boulot de correcteur-relecteur. Mais savent-ils seulement repérer eux-mêmes ce genre de bourdes ? Pas certain.
Le scénario, bouffi de messages complaisants ("le consumérisme, c'est mal !" "Le racisme, c'est pas bien !", etc.), se veut politique et dénonciateur des dérives de notre temps, mais en fait il s'agit juste d'une mise en scène maladroite et moralisatrice de l'actuelle bonne conscience universelle, qui dégouline chez les bien-pensants de tout poil se voyant en contestataires ou se rêvant en anarchistes anti-mondialisation. Tout y est trop appuyé et lourdingue, et même si l'on peut adhérer au fond du propos, la manière est déplorable. Ça manque cruellement de maturité, et mieux vaut regarder Wall-e.
Si, comme on le lit beaucoup, Shangri-La est un grand livre de SF, alors la SF est tombée bien bas.