À lire en complément de ma critique de Jojo's Bizarre Adventure.
Censé incarner la fin de Jojo's Bizarre Adventure, devenir le dernier clap de fin d'un Hirohiko Araki qui n'était à ce stade pas grand chose parmi ses pairs, Stardust Crusaders sera devenu malgré lui le réacteur chargé de propulser le mythe. Pensé comme le chant du cygne, la troisième partie de Jojo's Bizarre Adventure aura brillé aussi intensément que la renaissance d'un phénix. Son envol n'aura connu aucune halte depuis.
Par le passé, rarement - si ce n'est jamais - un Shônen aura autant incarné l'aventure. À juste titre en ce sens où la troisième partie aura été pensée comme une ré-adaptation très librement inspirée du tour du monde en quatre-vingt jours. Ce ne sera pas là l'unique référence à laquelle s'en sera remis Araki ; de références - plus particulièrement cinématographiques - Stardust Crusaders en est bouffi. L'auteur s'en inspire ce qu'il faut pour se donner une contenance mais sait s'arrêter pour conserver son identité propre.
Sur le plan de l'aventure stricte, Stardust Crusaders vaut infiniment plus qu'un Indiana Jones. L'imaginaire d'un périple mu par une quête juste aura ici été débardé le plus majestueusement du monde. Le titre de cette partie n'a pas été choisi en vain ; Stardust Crusaders qui, autant par son nom que son histoire, recouvre l'imaginaire et l'idéalisation de la croisade, une guerre juste qui ne sera pas ici souillée par une réalité moins reluisante. Le fantasme s'incarne et prend vie.
Plus que la partie la plus réputée d'un manga mythique, Stardust Crusaders est un conte intemporel et légendaire qui nous parvient par-delà l'encre versé.
Un conte vous dis-je. Une intrigue simple pour ne pas dire simplissime s'agence alors tout en sachant se pourvoir des éléments indispensables afin de sortir du lot ; des personnages qui, avant d'être des hommes, sont des gueules, une représentation artistique qui se dépasse - le style Araki pose ici ses premiers jalons - un sens de l'exotisme parfaitement resitué, la sensation d'être dépaysé d'une étape à l'autre.... l'aventure ultime s'offre à nous ; la dernière Croisade. Et cette fois, ce sera la bonne.
Stardust Crusaders n'est ni plus ni moins qu'une quête initiatique ; LA quête initiatique, celle qui en appelle à la bravoure sommeillant en chaque homme et qui ne manquera pas de nous titiller à la lecture. Une croisade désintéressée pour beaucoup dont rien n'assure que l'on en reviendra.
La chevalerie renaît ici pour nous gratifier d'un baroud d'honneur de dix-huit tomes, un sens de la chevalerie remanié par un auteur qui en a saisi toutes les vertus en se les réappropriant pour mieux l'adapter à notre temps. Jotarô Kujo n'est pas tant ce protagoniste de Shônen-Furyô coutumier qu'une nouvelle incarnation de Godefroy de Bouillon.
Ce sera en revanche la dernière fois que l'auteur forcera la virilité de son bestiaire à ses lecteurs. De là, il prendra une direction - une orientation - qui tendra à incliner vers un contenu où l'afféterie prédomine. Cela aura aussi son charme, mais certainement pas le même que l'on puisse être susceptible de retrouver ici. Des caractères bruts mais trempés comme ceux-ci, on ne les retrouvera plus. Il y a un charisme qui se dessine sous ces carrures absurdes de lycéens sur-bodybuildés ; une aura qui transcende leur personnalité. Les personnages ne s'appartiennent plus alors qu'en franchissant frontières après frontières, ils s'abandonnent à la légende de leur périple.
Des caractères bruts mais trempés, il y un charisme qui se dessine sous ces carrures, une aura. Ces figures de légende - protagonistes comme antagonistes - seront résolument basiques dans l'élaboration de leur psyché sans pour autant que leur caractère ne nous laisse indifférents. Ils ne sont pas des œuvres d'art comme sauraient l'être des sculptures grecques mais plutôt des menhirs taillés, augustes et rugueux qui en imposent par ce qu'ils évoquent plus que par la minutie des détails qui les composent. On s'attache aux protagonistes, et de cela, on n'en prend conscience que bien trop tard.
C'est à juste titre que Stardust Crusaders se trouve considéré par les lecteurs comme la partie la plus réputée de Jojo's Bizarre Adventure. Elle n'est pas nécessairement la favorite, mais son statut mythique jouit d'une réputation telle que rien ne saurait l'égratigner. Cette troisième saga est la structure du classicisme sur laquelle se construira les nouveautés futures de l'auteur. Caché derrière de nouvelles sophistications architecturales se greffant au fur et à mesure que Araki bâtira son œuvre, Stardust Crusaders restera ce pilier inébranlable autour duquel repose toute la structure de Jojo's Bizarre Adventure. Sans lui, cela fait bien longtemps que tout se serait cassé la gueule.
Que serait une légende sans sa figure maléfique de circonstance ? Ce fut une formidable idée que de ressortir Dio de son sarcophage afin d'en faire, non pas un ennemi ponctuel, mais éternel. Celui duquel la lignée Joestar, même passé son trépas, n'arrivera jamais à se défaire. Un amas de ronces épineuses et venimeuse entoure et grandit avec l'arbre généalogique des Joestar alors que celui-ci se répand en de nouvelles branches. Dio n'est pas que cet antagoniste mythique dont on ne peut tout simplement pas faire semblant de ne pas voir qu'il déborde de présence partout où il se manifeste. Non, il est l'origine d'une malédiction qui ne dit pas son nom et qui ne s'éteindra qu'à la fin des temps. Une fin des temps que sa postérité engendrera pour parachever son œuvre.
Bien entendu, on ne saurait faire l'impasse - en mentionnant Stardust Crusaders - sur la création des stands. Ces stands qui, au-delà du concept encore balbutiant en ce temps là, étaient la consécration de l'auteur, la raison même pour laquelle Araki peut se prévaloir de plus de trois décennies de parution. Ce n'était pas m'y méprendre que de prétendre dans ma critique de Jojo's Bizarre Adventure que l'ensemble de l'œuvre tenait aux stands avant toute chose. Se serait-on imaginé lire Jojo's Bizarre Adventure sur plus de cent tomes sans eux ? L'honnêteté nous intime à admettre que non.
Les stands d'alors étaient basiques et reposaient sur des pouvoirs aux propriétés souvent offensives, ce qui ne les empêchait pas déjà de tirer leur épingle du jeu grâce à l'épique qui débordait de leurs confrontations. De Luxor au Caire en passant par l'Arabie, la légende se sera manifestée en toute longitude.
La conception artistique de ces stands - aussi originale que les pouvoirs qui en découleront par la suite - son clairement signées Araki. Avec Stardust Crusaders, le style graphique de son auteur s'affirme enfin des années après être né de la cuisse de Jupiter ; sa marque est alors apposée à l'encre indélébile quemême le temps ne saurait effacer.
Que dire de la bataille finale quand celle-ci nous aura laissé coi ? Qu'elle fut l'une des plus grandioses de tous les temps ? Ce serait s'adonner au dernier des truismes qu'asséner pareille évidence. Jamais auparavant le sens de l'épique n'avait été si joliment retranscrit sans pour autant avoir été forcé auprès de lecteurs ; il s'écoulait naturellement le long des pages devant nos yeux ébahis alors qu'on ne pensait pas qu'il puisse rayonner encore davantage. La mise en scène y est clairement pour quelque chose ; on ne se bat pas à grand coup de rouleau-compresseur sans être ridicule à moins d'avoir le doigté d'un auteur de talent à faire valoir. De ce talent, nous en fûmes gratifiés et le seront encore des décennies après. Jusqu'à que ne sonne un glas strident nommé Jojolion...
Stardust Crusaders aura été si mythique que même son adaptation animée n'a pas été ratée - les animateurs n'ont tout simplement pas osé. Elle restitue à merveille chaque étape du périple et l'embellit parfois de ses compositions musicales bien à propos.
Ici furent érigés les premiers véritables jalons d'une légende qui perdurera longtemps jusqu'à s'auto-détruire à trop avoir abusé de ses lettres de noblesse. Ici, le mythe se justifie et se savoure du regard. Ici s'est joué l'histoire. Une petite histoire, celle d'un Shônen qu'on pensait sans prétention et qui aura tout révolutionné sans rien changer. Derrière ces pages sont nés deux types d'hommes, un auteur reconnu et estimé pour ce qui est de son rédacteur et des garçons devenus des hommes quant aux lecteurs.
Stardust Crusaders n'est plus un Shônen alors qu'il est l'initiation même à l'aventure. Qui pour résister à son appel ? Personne. Il y a des effronteries qu'on ne saurait se permettre.