Que c'est triste les vieillards qui se croient encore dans le coup. Triste et disgracieux au point de vous amener à détourner le regard. Mon regard, je l'aurais volontiers détourné plus longtemps, mais il me fallait cependant lire l'adaptation manga de ce carnage qu'on nomme Sword Art Online. Il est des «œuvres» dont l'humanité se dispenserait de bon gré et je viens encore d'en lire une. Aurais-je pris la peine de l'aborder du pied gauche plutôt que du regard que cela m'aurait au moins porté bonheur.
Quelque peu décousu, compilé en diverses sagas, SAO se veut en réalité le recueil de différentes adaptations manga des light-novel originelles de Reki Kawahara, toutes signées de dessinateurs différents. On eut pu alors s'attendre à ce que dans le carquois, il y en ait au moins un pour atteindre la cible ; mais il ne s'en trouva pas un pour rattraper l'autre. Certes, aucun parmi eux ne peut être tenu pour responsable de la trame (pas à ma connaissance en tout cas), mais que les dessins soient tous d'aussi mauvaise facture, c'est à se demander s'il n'y a pas une cabale pour entamer la crédibilité de l'œuvre, plus encore que cette dernière n'y contribuait déjà jusqu'à lors.
Vous reprendrez bien un énième isekai d'humains absorbés dans un monde de MMORPG ?
Ce n'est pas tant que le concept en lui-même me rebute, l'idée est même bonne. Mais de toutes les productions gravitant autour de ce sujet, peut-être un pour cent d'entre elles valent la peine d'être retenues. En étant large. Mais cette fois, c'est en dessous de tout.
Avec la prononciation japonaise, «Sword» se prononce «Sodo» ; n'étant pas habituellement homme à m'en remettre aux présages, le recul me contraint toutefois à reconnaître que j'aurais dû prendre garde à certains signes avant-coureurs. Car en dépit de la nature du sujet - généralement adressé à un public majoritairement masculin - c'est à un Shôjo bien nunuche auquel j'ai eu droit. «Sodo» en effet ; je me suis bien fait baiser.
Ici, le support MMORPG se borne en réalité à un statut de paravent sur lequel des motifs pour le moins sommaires - et c'est peu dire - auraient été dessinés. SAO n'a rien à voir avec les jeux-vidéos et rien à envier aux histoires d'amour les plus sirupeuses du genre. Déguiser une amourette ridicule derrière l'appât du MMORPG : c'est fourbe. Éminemment répréhensible en tout cas.
Un monde vide délivré par des dessins sans âmes, rien que les hors-d'œuvre nous coupent déjà l'appétit. Puisque SAO n'est effectivement qu'un prétexte à mettre en scène une histoire d'amour superficielle et insipide, il ne faut pas s'attendre à ce que l'auteur (qui, à ma grande surprise, est un homme) s'investisse dans sa création. On a si vite fait de se faire un claquage.
Soutenir que l'univers dépeint par SAO n'a aucune imagination reviendrait à supposer qu'univers il y ait. Or, en abordant le registre du MMORPG, l'auteur (à moins que les adaptations ne l'aient trahi, ce dont je doute tant elles sont toutes du même tonneau) ne s'est pas embarrassé à créer une structure pérenne garnie d'incontournables mécanismes de jeu à aborder ou même quoi que ce soit d'autre. De ce qu'il m'a été donné de lire, j'ai bien compris que l'auteur n'avait pas joué à un MMORPG de sa vie. Un vieux qui cherche à singer les jeunes en voyant ce qui leur plaît par les temps qui courent, voilà la démarche de Reki Kawahara. Pitoyable ? Le mot est faible. L'homme a encore moins de mérite qu'un vicelard qui attirerait les enfants dans son van avec des bonbons.
Des mécanismes de combats ? Quelle idée. Pourquoi ne pas tout simplement foncer tête baissée et cogner comme un sourd avec une épée ? Ça fonctionne aussi. C'est à chier dans le principe comme dans le déroulé, mais ça le fait quand même. Quelques mauvais esprits iraient même jusqu'à sous-entendre lourdement que ça n'a en vérité rien à voir avec le principe du MMORPG, mais ceux-là... on les emmerde. Kawahara les emmerde en tout cas, et il ne fait pas dans la modération. Ce sera d'ailleurs les deux majeurs fièrement dressés qu'il s'emploiera à démontrer à quel point il n'aura jamais eu l'intention de faire entrer en scène le moindre ressort de MMORPG valable.
De l'Ecchi, il y en aura. Bien évidemment. Au point d'en plâtrer murs et plafonds à longueur de chapitres. La saga Aincard Night of Kirito étant un pur supplice en la matière. Des fois que nous ne soyons pas certains que l'œuvre soit de mauvais goût, l'auteur multiplie les indices appuyés pour nous mettre sur la voie.
Je pourrais revenir sur la profonde et abyssale superficialité des sentiments humains où on parle de se marier huit chapitres après s'être rencontrés, mais je me ferais du mal. Pas autant que SAO ne m'en a fait en se donnant la peine d'exister, mais je douillerais quand même. Est-il seulement besoin de vous préciser à ce stade qu'aucun personnage n'aura le moindre intérêt en terme d'écriture ? À l'image de l'univers que l'auteur ne s'est même pas donné la même de détailler - même ne serait-ce que vaguement - les personnalités sont si basiques qu'elles n'arrivent même pas à correspondre à un archétype dont le topique nécessiterait au moins pour le personnage de cumuler plus de deux traits de caractère. Ce serait demander la lune à Reki Kawahara qui, à défaut de pouvoir nous la promettre, ne pourrait en guise de consolation, que nous montrer son cul.
À dire vrai, je serais incapable de situer le profil du public ciblé par SAO. Aucun joueur ne saurait se contenter de ça et ces demoiselles ont besoin de plus qu'une romance pour suivre l'histoire d'un amour sans développement véritable. SAO a davantage des allures de supplice qu'on s'inflige que d'œuvre qu'on se plaît à contempler. On ne finit pas avec cinq de moyennes sur SensCritique sans s'être un peu loupé à un instant donné et même à tout endroit. Toute cette foirade aurait pu être si facilement évitée que j'en viens à suspecter l'auto-sabotage.
Multiplier les lignes et même les paragraphes pour revenir sur ce scandale répugnant qu'est l'existence même de SAO s'avérerait au final aussi stérile que ce que le manga a à nous proposer en terme de contenu. Un revers de la main et un glaviot suffisent. Quand un auteur a aussi peu de respect pour ce qu'il écrit et ceux qui le lisent, il est de bon ton de renoncer à toute forme de révérence pour mieux s'en remettre aux avanies d'usage.
Quoi qu'à en juger par ce dont l'auteur se contente sur le plan créatif, mon dédain est déjà une gratification trop honorable à lui soumettre. Chaque chapitre devrait être gratifié d'un mot d'excuse du scénariste et du dessinateur, la décence le commande.
Pour ceux qui auraient les nerfs à vif ou qui, au contraire, seraient aujourd'hui dépourvus de système nerveux après avoir goûté aux joies illustres et émétiques proposées par Kawahara et ses complices, je me dois d'administrer une prescription médicale. Le pronostic vital étant engagé, la grosse artillerie est de rigueur.
Si vous voulez une œuvre sachant jouer de la fibre MMORPG sans faire semblant, The Gamer de San-Young Sung et Sang-Ah est un incontournable. Les personnages et l'intrigue n'ont rien de mirifique mais le traitement des mécanismes de jeu et le doigté avec lequel ils sont révélés puis mis en œuvre auront de quoi ravir les amateurs du genre. En complément, pour la rééducation, lire ou relire Level E et Hunter x Hunter de Yoshihiro Togashi. Chacune des deux œuvres recelant son arc narratif isekai MMORPG. Un régal pour les yeux, pour l'esprit et pour l'âme. Et cette fois, vous serez certain que l'auteur parle d'un sujet qu'il maîtrise bien.
Retenez avant de fermer cette critique que dans la liste des gestes qui sauvent, «ne pas lire Sword Art Online» est classé entre «ne pas mettre ses doigts dans une prise électrique» et «ne pas manger d'uranium». Soyez responsables, ne vous infligez pas cette épreuve. Si vous ne le faites pas pour vous et votre santé mentale, faites-le au moins pour vos proches.