(Commentaire portant sur l'intégrale parue chez Aire Libre en 2015. La note modestement attribuée à l'ensemble de la saga : 7)
Bon sang, comment est-ce possible ?! Passer du génie au conventionnel le plus plat. De la jubilation à l’indifférence. De l’envie de dévorer le bouquin, à celle de le poser au pied du lit ! Jamais j'avais vécu ça. Jamais le mot déception n’avait autant résonné en moi. "Déçu, déçu, déçu, déçu, dé... Déçu !"
Tout bascule à partir de la page 110. « Une traversée mouvementée ». Titre anti-prophétique, annonciateur d’un ennui abyssal. Car (pardon pour cette méchante saillie) c’est une traversée du désert à laquelle le lecteur, lui, se prépare
Tout débutait pourtant si bien. (Et c’est un euphémisme !) Le sentiment de plaisir de tenir entre ses mains quelque chose qui ne s’est jamais fait ! Un truc dont on dira plus tard que c'est culte ! La sensation, si vivifiante entre mille lectures, de tomber sur celle qui vous tient, vous excite ! Et dont vous risquez de parler à tout votre entourage ! « Lis-ça, tu vas t’marrer ! C’est génial ! »
Bon sang. C’est tellement triste.
Salvatore et ce physique mi-chien, mi-lapin qui vous décroche à chaque page rires et tendresse.
Cette narration, bon sang ! Cette EXCELLENTE narration ! Qui disparaît, comme ça, piouf ! envolée sitôt la page 110 tournée ! Pas croyable...
« ... A la cime enneigée du garagisme international se joue un drame dont la trahison et la malhonnêteté sont pour l’heure les ingrédients principaux. »
« Quelques bières vides et l’odeur frelatée de ses rots, parfum fugace d’un bonheur disparu. »
Bon, ça rend pas vraiment comme ça. Mais putain quand vous êtes dedans ! C’est pas du Hugo, on est d’accord, mais ça chante, c’est écrit, au mot près, à la virgule près ! Et on s’marre !
Et puis ces découpages, ce rythme ! Maîtrisé à la perfection ! Ces couleurs ! Amandine la truie... Ses treize petits porcinets, groink, groink... Julie... Tout, tout, tout est bon !
Et puis arrive la moitié du bouquin. Autrement dit le tome 3. Puis son pendant morbide. Le tome 4.
Grincements de plancher. Sol qui se dérobe. Murs qui s'fissurent.
PATATRAS.
Cette fameuse page 110. Château hanté. Et pardon pour la formule éculée : mais c'est à ce moment- là que la magie n’opère plus. Fini.
Alors bin au bout de 10-15 pages on s’pose des questions quand même. « Que s’est-il passé ? » « Un changement d’auteur ? » « Une contribution fâcheuse ? » « Des exigences éditoriales ? » « Une rupture ? » « Le décès d’un proche ? » Et puis on regarde à la fin et se dessine une esquisse de réponse. Trois ans entre les deux premiers tomes et les suivants. Suffisamment de temps pour perdre cette flamme de la création. Suffisamment d’temps pour laisser s’envoler autant d’inspirations géniales.
Suffisamment de temps pour transformer de l'or en papier alu'. Froissé...
Voilà donc deux premiers tomes fantastiques. Et deux autres dont on ne se rappellera plus. Deux premiers tomes qui font se dérouler une jolie fable sociale drapée dans les codes du dessin-animé et du conte traditionnel. Deux premiers tomes avec ces vignettes géniales (les pieds de Julie…) et ces planches tout aussi géniales. Parmi elles, celles qui dessinent la chute sans fin d’Amandine au volant de c'qui lui sert de voiture. Des cascades cartoonesques qui n'en finissent plus. Et qui s’étendent sur plus de dix pages. On en sort essoufflé, émerveillé. C’est prodigieux de maîtrise scénaristique. Et humoristique...
Bref… On remerciera malgré tout Nicolas de Crécy de nous avoir gratifiés de son humour et de son univers si personnels. Mais on retiendra surtout ce goût amer d’inachevé.
N’empêche... Ce Salvator.... Il aurait pu marquer toute une génération...