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Une trop bruyante solitude
5.9
Une trop bruyante solitude

BD (divers) de Lionel Tran et Ambre (2002)

Dommage que le supposé dessin torturé soit factice : derrière les traits courbés en paquets anarchiques se cache un photoréalisme déconcertant. Une vue sur une terrasse : un verre de coca et sa bouteille, dans des proportions parfaites, presque identiques à une photo. Un balayeur en gilet fluo et casquette, à peine gommé par les filtres noirauds qui emportent le tout.

Dans mon imaginaire, le monde noir décrit dans l'asservissement par le quotidien devrait être déformé, conforme à l'idée que je me fais de la perception d'un type qui dit avoir noyé 35 ans de dur labeur au cul d'un presse-papier dans la bière, au point de pouvoir en remplir une « piscine olympique ». J'aurais plutôt vu une réalité à peine déformée, à tendance expressionniste, un intermédiaire entre la réalité couleur charbon de ces planches et le conte enfantin cauchemardesque de Faust (d'Ambre aussi), par exemple.

Il faut donc apprécier de voir briller du vernis « Pure white gloss » derrière la couche de crasse pas très ragoutante. A dire vrai, on est plutôt face à un spécimen de Van Gogh du bicolore, marqué du sceau de l'impressionnisme, faisant perler les gouttes de pluie incrustées au dessin comme des grains de riz, pour donner du détail et du mouvement et amenuiser l'épaisseur du trait fuligineux.

Point noir, la finition laisse à désirer. Une case a particulièrement retenu mon attention. Le bandeau narratif prévu en bas de case a été reporté sur la suivante, avec les stigmates visibles des lettres sans l'apport du fond blanc qui permet l'accès aux inscriptions.

Au moins, cela rappelle que ce genre de BD est avant tout l'œuvre de passionnés qui veulent faire progresser le Neuvième Art en proposant une passerelle vers le roman, biographique, décadent et allez, disons, « nihiliste ». L'amour des livres est transmis avec une force de persuasion que peu de BD sont capables de reproduire. En faisant de la lecture une source de vie pour le protagoniste abonné à la misère, la transmission de la nécessité de goûter aux lettres est sincère, en tout point, même si on peut lui reprocher d'user de grosses ficelles simples à tendre dans les one-shot. Une autre génération que ces jeunes, par exemple, qui raillent le vieux à qui ils ont ravi la place. Un acte militant que lire, quand l'argent envahit tout, et détruit tout. Un choix de vie que la pauvreté pour garder une âme humble, mais cultivée.

Le manque de renouvellement des répliques et des situations pourrait agacer, mais tout est fait pour installer le lecteur dans la même démarche que la gueule sale que l'on suit du regard, pour nous confiner à un état de douce somnolence, d'abrutissement par l'ivresse de mouvements de mots répétitifs. Ça sonne sûrement faux et galvaudé de dire ça, mais alors que l'on sait déjà à quoi l'on goûte, on ressort abasourdi mais grandi de cette expérience, de cette nouvelle histoire de vie chienne, abandonnée par la destinée et roulée dans la farine animale.
Adrast
6
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le 21 nov. 2011

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