Certainement l'une des histoires les plus importantes des Avengers, après leur formation et la création d'Ultron. Et pour cause, c'est une suite d'épisode extrêmement réussie, une histoire d'une ampleur rarement vue à l'époque dans les récits de super-héros, et qui a rarement été égalée dans les récits suivants des Avengers.
C'est un récit qui arrive assez tôt dans l'univers Marvel (en 1970, soit moins de 10 ans après les débuts de l'univers partagé "moderne"), et qui montre les auteurs de seconde génération consolider et construire sur les bases installées par Jack Kirby, Stan Lee et les autres, donnant vraiment du corps et une chronologie à l'univers de l'éditeur. Il faut dire que Roy Thomas est un fan de continuité, et il va jusqu'à faire des ponts avec les récits du golden age, quelque chose qu'il refera plus tard de manière plus détaillée dans sa série Invaders.
Il y a pleins de choses intéressantes à relever dans ses épisodes. Déjà l'idée centrale de la saga, qui n'arrive pas tout de suite, est celle de la guerre entre les Krees et les Skrulls, avec la Terre au milieu, prise entre deux feux, qui doit résister aux tentatives d'invasion et aux menaces de destruction des deux peuples, tout en sauvant leurs alliés régulièrement kidnappés, notamment le guerrier Kree Mar-Vell.
Et pour rendre ça encore plus passionnant, Roy Thomas y amène une tonalité très proche du Bronze Age à venir, avec un ton plus sombre et plus cynique qu'à l'accoutumé. Les héros se demandent régulièrement (surtout Rick Jones) depuis quand le monde est devenu si compliqué, non plus noir et blanc, mais gris. Il faut dire que les scientifiques qu'ils sauvent des krees et à qui ils font promettre de ne rien dire sur les aliens ne trouvent rien de mieux à faire que de tout révéler à la presse ! L'opinion publique se met alors rapidement à dos les Avengers, accusés de protéger le kree Mar-Vell. Ils se font huer par les foules et ont le droit à un procès de la part de la nouvelle commission chargée d'enquêter sur les affaires extra-terrestres. Thomas utilise vraiment l'esprit de Marvel de l'époque, c'est à dire les héros à problème, et les Avengers deviennent des parias, avec l'Etat qui vient régulièrement les emmerder. Il y a même un double jeu d'Iron Man avec Tony Stark qui construit des armures pour le SHIELD spécialement conçue pour battre les Avengers !
Mais en parallèle c'est aussi une histoire ultra épique, de grande ampleur, avec de grosses explosions, des combats d'Avengers en vaisseau spatiaux face à un armada Skrull dans l'espace, avec des pouvoirs cosmiques, tout un enjeu sur l’obtention d'une arme de destruction massive... Cependant, Roy Thomas n'oublie jamais l'humain. Les héros doutent, Vision est toujours aussi mélancolique, partagé entre sa nature d'androïde et ses aspirations inconsciente à être un humain normal, notamment à vivre son amour avec Scarlet Witch. Et même les extra-terrestres ont leurs problèmes, comme Ronan l'accusateur qui prend le contrôle des Krees à la place de l'Intelligence Supreme, ou le Roi Skrull, bon gros misogyne qui désespère des aspirations pacifiques de sa fille. Sans oublier Mar-Vell, toujours partagé entre ses potes vengeurs et son peuple d'origine.
Toutefois, ce qui rend la Guerre Krees/Skrulls encore plus grandiose reste la partie artistique. Si Sal Buscema est efficace sur les premiers épisodes, bien que très classique, Neal Adams qui arrive ensuite est absolument grandiose. Son trait, qui est plus inspiré par les artistes de strips type Tarzan ou Flash Gordon que par Kirby et les artistes de comics classiques, apporte un réalisme, un niveau de détail et un dynamisme saisissant aux pages. Les personnages sont grands et beaux, dans des postures pleines d'énergies, leurs visages sont expressifs et minutieusement dessinés, et les mises en pages inventives. C'est vraiment très moderne dans l'approche et, par conséquent, ça n'a pas vraiment vieilli, ce qui rend aussi cette histoire facile d'accès. En outre, l'encrage de Tom Palmer est sublime, plein de velouté et de pleins et de déliés, on se régale.
On a aussi John Buscema sur quelques épisodes, et c'est là aussi sublime. J'aime beaucoup l'artiste qui a l'élégance du style de Neal Adams mais un découpage plus classique et par conséquence plus fluide et quelques influences plus Kirby qui font plaisir à voir (notamment sa représentation superbe de l'espace). Mais c'est vraiment Neal Adams qui marque les esprits, parce que c'est bien lui qui donne une dimension incroyablement épique et grandioses à ces épisodes.
Donc voilà, de très bons épisodes, qui consolident toute la mythologie Kree (Ronan l'Accusateur, l'Intelligence Suprême, la Sentinelle Kree, Captain Marvel, les Inhumains...) et la mythologie Skrull (on nous ressort quand même les skrulls transformés en vaches à la fin de Fantastic Four #2 !) dans une grande saga réussie, devenue culte et régulièrement référencée, le tout avec un bon roster d'Avengers (Vision, Scarlet Witch, Quicksilver, Goliath (Clint Barton), Ant-Man, the Wasp, Captain America, Thor et Iron Man ainsi que Rick Jones). Ce n'est pas sans défauts, les premiers épisodes, notamment cette saga improbable en Alaska, ne sont pas aussi passionnants que la suite (à part si vous aimez les hommes des cavernes et les monologues de vilains interminables et lyriques), et il faut donc ronger un peu son frein avant de savourer la guerre krees/skrulls. On pourra aussi reprocher le faible nombre de personnages féminins, qui, en outre, ne sont pas vraiment écrites de manière très moderne.
Mais voilà, si vous aimez les Vengeurs, l'univers cosmique Marvel et les vieux comics de super-héros réussis, c'est indubitablement une histoire à lire !