Une anthologie des pages du dimanche du comic strip Gasoline Alley, sélectionnées parmi celles publiés entre 1921 et 1934. C'est donc, pour une partie, des pages de BD centenaires !
J'avais déjà adoré découvrir Little Nemo il y a quelques années, et c'est de nouveau passionnant de lire de la BD aussi vieille, que ce soit pour ce que ça montre de la société de l'époque ou pour voir les techniques graphiques et narratives utilisées alors et les prouesses atteintes. En outre, ici, les pages sont reproduites avec un rendu des couleurs très fidèle à comment les pages étaient imprimées à l'origine. Le rendu est superbe et on est loin du massacre des "restaurations" des couleurs faites par Marvel et DC sur leurs comics datant d'avant la colorisation numérique (et qui sont régulièrement imprimés sur du papier glacé, rendant ça encore plus affreux).
Mais bref, Gasoline Alley est à la base un strip qui a débuté en 1918, sur un fan d'automobiles et ses amis à une époque où les voitures commencent à se démocratiser aux Etats-Unis. Sauf que tout change en février 1921, quand un bébé est déposé devant la porte du héros, Walt. A partir de là, ça va devenir un strip tranche-de-vie sur cet homme qui élève cet enfant, avec une particularité assez unique en BD, surtout à l'époque, c'est que tous les persos vieillissent en temps réel ! On va donc voir le petit Skeezix grandir naturellement tout au long de l'album, passer de bébé à un garçon d'une dizaine d'année.
Et ce qui est encore plus fou, mais qui ne concerne pas directement cet album, c'est que le strip Gasoline Alley ne s'est jamais arrêté et est toujours resté fidèle à son concept de BD en temps réel. Frank King, le créateur de la série, en a tenu les rênes jusqu'en 1951, puis ça a été d'autres auteurs, à tour de rôle. Walt et Skeezix ont donc aujourd'hui tous les deux au-delà de cent ans (Walt a même plus de 120 ans !), et l'auteur actuel n'a visiblement pas le cœur à faire mourir ces persos de légende.
En autre trivia, il faut savoir que ce comic strip est une des grandes influences du grand bédéaste Chris Ware, qui signe d'ailleurs une des préfaces de l'ouvrage.
En tout cas c'est vraiment un excellent album. C'est de la tranche-de-vie régulièrement très contemplative, avec toujours plein d'idées graphiques inventives et poétiques, une superbe utilisation des couleurs, et ça donne des pages fabuleuses au sein d'un album absolument sublime à regarder, charmant à lire et avec un humour bon enfant. L'ensemble est habité d'une douce mélancolie sous-jacente, celle du temps qui passe.
Vraiment une excellente découverte, un joyau de la BD mondiale trop méconnu, une très belle œuvre patrimoniale que je ne peux que vous encourager à découvrir.